LE ROMAN DES MORTS, Épisode 11, la lettre et le départ d’Alexandre

Marie Chauvin la lettre

Au Gué Marie Chauvin est triste, il est loin, très loin et s’en inquiète. Elle fait son travail de façon machinale.

Sa patronne lui fait remarquer, elle n’est pas à sa couture et les points de reprise sont mal faits et ce matin elle a laissé prendre un entremet sur le feu.

Ce n’est pas dans ses habitudes et la sèche madame Berthe la menace de renvoi. Ce n’est pas qu’elle y croit car elle est au service depuis plus de vingt ans mais jamais elle n’arrivera à faire la part des choses dans sa relation dominant dominé.

Elle n’a qu’une hâte maintenant c’est de s’échapper un moment pour qu’elle puisse remettre son enveloppe au facteur rural qui fait sa tournée. Depuis de nombreuses années les municipalités qui se succèdent, demandent la création d’un bureau de poste. Mais leurs efforts sont vains et les autorités restent de marbre.

Elle profite d’une course à faire chez le charcutier pour échapper aux filles du château.

Bien sûr elle va de déconvenue en déconvenue, quand on est pressé tout vous ralenti.Madame Richard la charcutière, une vraie pipelette la retient un bon moment.

La commère veut tout savoir du château, Marie d’habitude s’étend sur le sujet mais aujourd’hui devant les yeux stupéfaits de cette dernière se sauve presque en courant à la première question.

Puis comble de malchance elle manque de faire tomber Marie Pinet la doyenne du village, 88 ans, encore alerte et aussi bavarde qu’une pie.

Marie lui explique qu’elle la verra à l’office, et se précipite sur la place de la mairie. Le facteur est tout prêt de repartir.

Elle n’a jamais envoyé une lettre, le préposé lit l’adresse sur l’enveloppe. Il connaît tout le monde et un sourire qu’elle juge narquois marque son visage. Elle devient rouge comme une pivoine, elle se cacherait dans un trou de souris.

Avant de partir il rajoute  » bon d’la que de lettres du château aujourd’hui  »

Comment cela plusieurs lettres du château, Marie normalement sait ce qui se passe et lorsque quelqu’un sort de la bâtisse elle le voit par la fenêtre de l’office. Elle peste de ne pas savoir.

Départ d’Alexandre Drouillon pour Bordeaux

Chez les Drouillon l’annonce du départ d’Alexandre a plongé tout le monde dans la consternation. Il ne veut pas partir et s’effondre totalement. Comme un enfant la tête dans les mains il pleure, sa femme Émilienne l’invite à se ressaisir.

Après les pleurs vient un abattement, il reste prostré sur son fauteuil. Maintenant elle le houspille, sa valise doit être aussi préparée et il doit aller chez son beau père pour les problèmes de la tournée. Il finit par se reprendre et comme des dizaines d’autres au village il se prépare.

Il doit se rendre à Bordeaux au18ème escadron du train des équipages militaires. Il avait bien aimé son service là bas, la discipline militaire n’était pas plus forte que celle de son père et la découverte d’une grande ville l’avait charmé.

Il en était revenu changé, transformé, il était devenu un homme. En 1904 il avait épousé Émilienne et le petit René était apparu l’année suivante.

Tout pour être heureux mais souvent il est pris d’une sorte de langueur dont ses proches ont du mal à le faire sortir.

Il se rend chez Maximilien, là bas c’est la consternation, non pas de perdre le Alexandre mais plutôt de perdre le cheval qui fait la tournée. Le vieux fait son cirque, hurle, tempête contre les autorités. On veut sa mort, on veut faire crever sa famille. Il prend sa veste et veut aller faire entendre raison au maire.

Au vrai c’est encore un peu prématuré car personne ne lui a rien demandé, mais il est comme cela et tous s’en accommodent.

Angélique la mère finit par lui faire entendre raison, il reste,s’assoie avec Alexandre devant une blanche qui certainement va les remonter tous deux.

Maximilien reprendra les tournées en attendant que son gendre ne revienne, après tout on dit que la guerre sera courte.

Drouillon rentre enfin chez lui, la nuit est tombée et lui est dans un triste état. La bouteille d’eau de vie du vieux est morte, vive la patrie, vive l’eau de vie.

Émilienne peste contre son père, quand il est saoul son mari est infernalement gai dans le sens amoureux du terme. Elle ne l’entend généralement pas de cette oreille et faire l’amour à un poivrot la répugne.

Mais ce soir c’est différent, il part à la guerre, cela fait parti du réconfort qu’on offre aux guerriers. La vision chancelante de son mari en liquette lui fait dire que le meilleur du réconfort serait qu’il dorme. Mais à la force de l’habitude il réussit à faire son ouvrage.

Le lendemain, la tête lourde c’est le départ à la gare du Gué direction Surgères. Sa grosse main tient la menotte de René. Il ne veut pas qu’on l’accompagne mais devant la gaîté de l’enfant il cède.

Les aux revoirs sont douloureux, cette grande idiote d’Émilienne se met à chialer, entraînant les pleurs du petit.

Maintenant le wagon s’éloigne direction Aigrefeuille, le paysage familier s’échappe à jamais, le moulin de Mille écus, le Treuil, au loin le château en ruine .

Puis les nombreuses petites gares du réseau secondaire.

Soudain l’émotion le submerge, comme un coup de poing, elle l’assomme, le retourne et le terrasse.

En face sur la banquette de bois, une femme l’observe, bien mise, élégante dans une robe longue d’un bleu azur. Ce n’est pas une paysanne, ses mains sont gantées et sa tête chapeautée. Il flotte même un relent de parfum qui fait penser qu’Alexandre dans la précipitation de son départ n’a pas effectué sa grande toilette. Subitement cela le gêne, il se dit qu’il pourrait indisposer cette dame qui certainement n’est pas habituée à l’odeur forte d’un mâle de la terre.

Émilienne cela ne l’incommode pas ou du moins elle n’en a jamais rien dit.

Les yeux bleus de la belle le fixent intensément, il balbutie ou croit le faire. Son regard est une invite. A quoi il ne sait le dire, mais c’est sûr, pour lui qui n’a guère connu que les yeux noirs de sa femme, le regard intense qui le scrute est une invite amoureuse.

Il se décide à tendre la main, un cahot, un crissement, un jet de vapeur, le train freine.

Il se retient au siège devant lui, il est seul, la beauté a disparu. Alors que d’autres rappelés s’installent à grand bruit. Il s’imagine terrorisé que sa vision ne peut être qu’une mauvaise compagne. Il transpire à grosses gouttes dans son chaud maillot qu’Émilienne l’a forcé à mettre. Il a peur et la place à coté de lui se libère, la camarde va t’ elle de nouveau s’asseoir à coté de lui?

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