Village du Gué d’Alleré jour suivant la mobilisation générale
Au gué d’Alleré l’agitation continue, le maire ne sait pas où donner de la tête, tout le conseil est mobilisé. Il y a un très grand nombre d’ hommes qui vont partir dans les jours qui vont suivre et il se doute que l’hémorragie ne s’arrêtera pas là
Même si tous les moyens de transport sont utilisés, le train est privilégié, Julia Petit la chef de gare et accessoirement la femme à Georges Varvoux; est un peu paniquée, le trafic plutôt calme d’habitude, enfle à mesure. Mais elle le sait, l’ordre reviendra dans les jours suivants. Son mari qui statutairement est cantonnier de voies ferrées est dans ses jambes à l’ennuyer.
Son maintien habituel étant d’être appuyé sur sa pelle, il est devenu soudain plus martial. Pour un peu il se prendrait pour un adjudant chargé du bon ordonnancement de l’arrivée des troupes en un centre de tri militaire.
Cela ferait sourire sa femme si sa fatuité à se croire indispensable ne nuisait à l’ensemble. Déjà qu’elle a bien affaire avec sa marmaille sans en plus que son incompétent de bonhomme se rajoute à ses six enfants.
Les wagons sont pleins de soldats, on se reconnaît entre paysans des villages alentours. Même si l’univers villageois est restreint, les foires, les gros travaux agricoles, les fêtes villageoises et les mariages font que chacun peut mettre un nom de village sur chacun des malheureux qui rejoint son unité.
Pour sûr priorité au trafic ferroviaire humain, les marchandises s’entassent sur le quai car même si l’économie s’est ralentie elle n’en a pas disparu pour autant. Des balles de grains, des futées, des bois vont attendre pêle-mêle que les trains se libèrent.
Sur présentation du carnet de mobilisation les billet sont gratuits. Toujours cela à gérer en moins se dit Julia.
Adélia en cette dernière soirée prépare les affaires de son mari qui demain va partir, la petite valise en carton bouilli se remplit peu à peu, chaussettes, caleçons, tricots de corps, écharpes, pulls. Elle ne veut pas que son Benjamin est froid, même si lui affirme qu’il sera de retour avant l’hiver. A un moment pendant qu’il ne la regarde pas, elle prend un ciseau et se coupe une mèche de cheveux. Elle met ce trophée souvenir entre deux vêtements.
Tout en préparant la valise elle concocte un vrai repas du dimanche, c’est le dernier avant un bon moment, alors il faut qu’il soit bon.
Sur sa broche, le poulet qui sue son jus rappelle par son arôme qu’ils vont se délecter.
Cela sera un dîner d’amoureux, seule la petite sera là.
Benjamin lui, sourit de tout cela, sa femme en fait un peu trop, il doit simplement rejoindre le 14ème bataillon d’artillerie à pied à la Rochelle. Aucun risque donc, les Allemands ne sont pas encore arrivés dans la région.
Lui à cause de son age il est dans la territoriale, beaucoup trop vieux pour se faire tuer.
Il a beau rire, Adèlia prend la chose vraiment au sérieux, elle le croit déjà baïonnette à la main en train de s’étriper avec un homologue allemand.
Non vraiment aucun risque à cela, lui explique t’ il en long en large et en travers. Mais devant les larmes qui coulent, il abandonne, la prend dans ses bras et fait comme si il allait au bout du monde.
Le repas est un peu morne, triste, bien que les deux s’efforcent de parler de tout et de rien. Benjamin est inquiet pour son atelier, dans un premier temps son jeune apprenti André Brousset finira ce qui est déjà commencé. Il n’a que seize ans mais se débrouille déjà pas mal.
Puis benjamin couche sa fille, la petite Aimée en elle même vit un drame, c’est la première fois de sa jeune vie que son père ne sera plus à coté de sa couche. Une maman ce n’est pas pareil, cela ne préserve pas des monstres et des méchants de la même façon qu’un papa. A la chandelle qui vacille Benjamin voit les larmes de sa fille. Lui qui n’est pas d’un naturel beulou sent irrésistiblement monter quelques perles lacrymales. Il se penche et en un geste d’amour embrasse le cou blanc de la petite. Elle s’apaise et bientôt sombre dans le sommeil.
Lui rejoint Adélia, ils traînent, dans le vain espoir de faire durer le temps plus longtemps.
Elle veux faire une surprise à son mari pour leur dernière nuit, elle le laisse se coucher puis dans le halo de lumière de la lampe à pétrole, elle se dévêt lentement. Jamais elle n’a fait cela, jamais elle n’avait offert ce sublime spectacle. Benjamin est fasciné, elle est belle et son corps magnifié par le désir, s’offre à lui. Nue elle se glisse dans les draps, offerte à son soldat de mari, qui ne doit emporter dans son esprit que la splendeur d’une femme et les larmes d’une fille.
Mais si l’acte est bon, leur esprit est finalement ailleurs et ils reprennent une conversation qui les mènera au bout de la nuit. Elle finit par s’endormir, la tête sur l’épaule de son homme, en sécurité et en toute quiétude.