ORDRE DE MOBILISATION GÉNÉRALE
Par décret du président de la république, la mobilisation des armées de terre et de mer
est ordonnée ainsi que la réquisition des animaux, voitures et harnais nécessaires au complément de ses armées.
Le premier jour de la mobilisation est le deux août 1914
Tout français soumis aux obligations militaires doit sous peine d’être puni avec toute la rigueur des lois obéir aux prescriptions du fascicule de mobilisation.
Tout est dit dans ces quelques phrases, chacun sait ce qu’il doit faire. Après la consternation de la première lecture, le ton monte peu à peu, on s’encourage par les paroles, on se regarde.
Un jeune énervé commence timidement une Marseillaise, sa voix est inaudible mais bientôt elle est reprise par une plus puissante. La foule sur la place hurle maintenant les couplets vengeurs et pleins de sang.
Allons enfants de la patrie le jour de gloire est arrivé.
Pour les plus lucides ce n’est pas le jour de gloire mais le jour de guerre, la nuance est large.
Mais pour conjurer le désespoir de partir à la guerre on se grise, de chansons, de mots orduriers envers les allemands et le Kaiser.
Tous en rajoutent, on va leur botter le cul, on va reprendre l’Alsace, on va baiser leurs bonnes femmes. C’est de la folie, l’annonce court dans le village.
Cette foutue affiche de mobilisation, c’est les gendarmes qui l’ont amenée, tout est prévu à l’avance, l’administration française est efficace. Les points d’affichage sont pourvus du funeste papier. La boutique du maréchal ferrant Landret, la maison de monsieur Charron sur la route d’Anais, au portail du cafetier Proteau, au café de Batmal sur la route de Saint Sauveur en sont pourvus. A Rioux c’est sur la porte du chai de monsieur Tétard et à la porte de l’écurie de Charles Hillaireau. A Mille Ecus c’est au chai de Giraud et pour la Moussauderie cela se fait chez Tardière.
Puis pour ne rien laisser au hasard, une affiche est mise à la gare, personne ne pourra ainsi dire qu’il n’a rien vu.
Le café d’Alcide est plein, on boit, on trinque, on entend pas que la fièvre ne baisse.
Celui de Marie Louise Turquois est aussi rempli et s’y introduit une bande de filles menées par les sœurs Belnard, Marcelle et Angèle. Elles embrassent à bouche que veux tu tous les hommes présents.
Le drôle de l’instituteur en bave de jalousie.
Mais le maire par précaution supplémentaire a envoyé le garde champêtre aux hameaux de Rioux et le secrétaire de mairie à Mille écus.
Pour la Moussauderie il envoie son adjoint Charron , ainsi tous seront prévenus. Il a un peu peur que la situation ne dégénère, mais il a tort tout rentre bientôt dans l’ordre.
Car chacun rentre chez lui, les préparatifs de départ doivent se faire au plus vite. Les départs vont s’échelonner sur quelques jours mais les premiers partiront dès demain.
Gougaud est sombre car il connaît le nombre exact des hommes qui vont partir, c’est une catastrophe, l’économie va s’écrouler, tout le jeune sang va être sucé par l’énorme vampirisme de la guerre.
En rentrant chez lui après cette rude épreuve, il se persuade que cela va être très bref et que les malheureux qui partent reviendront très vite.
Chez Émile Boutin village du Gué d’Alleré
Marie Vicenté assise à sa table, a le visage caché dans ses mains, elle pleure à chaudes larmes, c’est irrésistible, l’annonce de la guerre et la présence de son fils Marcel au service la terrorise. Un trouble sentiment prémonitoire l’assaille, elle qui a déjà perdu son fils Émile voilà bientôt sept ans ne supportera pas la perte d’un second.
Émile son mari est là comme un couillon à ne savoir que faire, c’est lui qui vient de lui annoncer la guerre. Il ne dit rien de ce qui s’est passé sur la place et ne se vante pas d’avoir entonné l’hymne national. Il ne dit rien, aucune larme de lui vient c’est un homme, mais lui aussi est glacé d’effrois de savoir que son fils va monter en ligne.
Dans toutes les maisons , dans tous les ménages, l’allégresse patriotique a fait place à une joie plus raisonnée ou au désespoir complet.
Chez certains jeunes l’excitation de quitter la maison, de s’éloigner des parents, de cesser de patauger dans le fumier prévaut sur les risques. Ils vont partir, sauver la France , mais aussi voir du pays et s’émanciper de leur terre nourricière qui les retient comme une chaîne sur un banc de forçat.
L’immense majorité n’est pas comme cela, ils doivent aller défendre leur pays, ainsi qu’en ont décidé les édiles de Paris c’est un fait. Mais jamais ils ne le feront dans la joie et l’allégresse. Peu leur chaut les défilés à Berlin, les bières de Munich, le cul des gretchens, ils ont leur femme, leur fiancé, leurs bêtes, leurs terres et ils n’ont nul besoin de s’égosiller dans une course folle à la gloire de la nation.
Chez Auguste Tirant
Gustave Tirant a quitté son ouvrage, d’autres l’ont rejoint et autour de la table en bois ils refont le monde.
Alors que le premier litre est tombé au champs d’honneur Joseph Gueret son copain fermier à Rioux pénètre dans la pièce. Tous les deux ne font pas partis du fait de leur âge de la première tranche de mobilisation. Ils sont donc plus à l’aise et détachés pour parler. La discussion devient politique et Gueret attaque directement par la mort de Jean Jaurès. Si il n’avait pas été assassiné il n’y aurait pas eu de guerre. Gustave que l’alcool a énervé s’emporte, pour lui Viviani le président du conseil a mené la bonne politique et le Gaston Doumergue qui est pressenti pour devenir ministre des affaires étrangères va nous arranger cela. Les autres en doute, ce sont des girouettes, des profiteurs mais rassurons nous cela ne va pas durer longtemps. C’est à voir, par contre il faudrait peut-être voir à rentrer chez soi ou aller reprendre l’ouvrage.
Mais finalement comme des fêtards en goguette, ils se dirigent au café. Loetitia débarrasse, bien contente que ces poivrots s’en aillent picoler ailleurs.
En d’autres endroits les paysans s’inquiètent pour leurs bêtes, va t’ on réquisitionner leurs chevaux, après avoir réquisitionné leurs jeunes.
Alexandre de peur de se faire engueuler par son beau père prend le parti de continuer sa tournée, il y a peu d’espoir qu’elle soit très lucrative mais bon il verra.
Il doit aussi préparer son paquetage, mais rien ne presse la date qu’il a d’inscrit sur son carnet lui permet de profiter d’Émilienne.
Sur le chemin qui le mène à Rioux il ne pense qu’à cela, il voit les courbes de sa femme, il se pénètre du souvenir de l’ odeur qu’elle avait ce matin.
A la vérité il n’y a qu’elle qui lui manquera, ses tournées il s’en moque. Bien que la douceur de certaines clientes peuvent lui faire vraiment aimer ce travail de marchand forain.
A la mairie Camille Gougaud est satisfait en temps que maire de la tournure patriotique qu’ont pris les choses. Pas de manifestation hostile, aucun nom d’oiseau à l’encontre des autorités, cela fera un bon retour pour la préfecture.
Il s’en retourne maintenant chez lui prendre un peu de repos, demain sera un autre jour et les tâches ne manqueront pas.
Au retour il remarque que les cafetiers font des affaires, que les jeunes discutent entre eux en échangeant leur lieu d’affectation. Les futurs cavaliers se moquent déjà de la piétaille et de ceux qui n’iront qu’à La Rochelle au 123ème régiment.
Il règne quand même un brin d’insouciance que le maire pessimiste tente de chasser de ses pensées. Il rejoint à la maison sa femme et ses filles qui n’ont pas été foutues de se trouver un homme. Il se dit qu’il aurait pu être aujourd’hui comme ces pères qui sont fiers du départ de leur fils tout en redoutant de les voir partir.
Angèle Belnard paraît déjà dévergondée et épousera Angelatis, truand notoire grec et futur propriétaire du «château» , n’est-ce pas ?
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