Seulement éclairé par la lumière blafarde de la lune un homme assis sur son banc de pierre semblait attendre.
Un froid piquant en cette nuit de février s’abattait sur le hameau de Montaigon, le vent qui n’avait pas été présent de la journée; maintenant se levait comme si il voulait marquer de sa présence l’arrivée de quelque chose.
Notre bonhomme nullement troublé par la bise glaciale restait d’une immobilité de marbre. Si de temps à autre sa pipe n’eut pas rougie on aurait pu penser qu’il fut trépassé.
Son teint cireux de vieillard, accentué par une barbe blanche non faite faisait penser au visage d’un agonisant avant la toilette des morts. Ses traits inspiraient la souffrance et le désespoir et à bien y regarder le vieille homme laissait parfois couler une larme.
Au loin les ombres des tours du logis noble du hameau, dansaient une ronde lugubre, le cri des grenouilles des douves venait troubler la sérénité du silence de la froide campagne.
Les arbres aux branches dénudées, bras menaçants, troncs aux allures fantasmagoriques appelaient à la danse.
Au loin parfois une chouette en hululant, fendait l’air glacial et voltigeant en des courants froids attendait une proie.
Mais rien ne troublait l’immobilisme statuaire du vieux paysan. Le gel qui de l’année n’avait encore fait qu’une timide apparition, voulait lui aussi en cette nuit sans étoile inscrire sa troublante apparition.
La buée formée par la lente respiration de l’homme se changea en une mince pellicule qui mélangée à la blancheur de la peau donnait l’impression d’un masque mortuaire.
Pourtant derrière lui par la petite fenêtre de la façade de pierres entre un pied centenaire de glycine et un rosier sauvage apporté là par un vent mauvais, l’on pouvait apercevoir une lumière tremblante et hésitante.
Il y avait en ces lieux deux entités indépendantes, l’une immobile au froid et un havre où régnait comme une activité portuaire.
Autour d’un lit s’activaient plusieurs femmes, chacune semblait avoir quelque chose de précis à faire.
Il faisait chaud et le foyer où normalement à cette heure ne se mouraient que de faibles braises, grondait d’un feu du diable. Une énorme bûche presque un tronc, sylve qu’on réservait pour noël apportait une chaleur outrancière qu’en tous temps le vieux eut réprouvé.
Sur un haut lit, reste branlant d’une aisance perdue, une jeune femme presque assise et presque couchée attendait une délivrance.
Ses cheveux détachés que la sueur collait, lui donnait un air de virago, son jeune visage fatigué était emprunt de désespoir et des cernes bleues autour des yeux qu’elle tenait mi clos, la faisait ressembler à une madone en souffrance d’un tableau de la renaissance.
Ses jambes nues écartée étaient relevées, au milieu comme plongé dans un gouffre une femme s’y affairait.
Cela faisait des heures que tous jouaient un rôle, le vieux dehors attendait et les femmes dedans en faisaient autant. Lui en son immobilité et elles en leur fébrilité s’exaspéraient.
Seule au milieu de cette attente, la jeune femme sexe ouvert, offert au regard, exténuée, presque morte semblait redouter la venue de ce que tous attendaient de tout leurs vœux.
Marie retenait son petit inconsciemment, d’autres eussent souhaités la prompte apparition d’un enfant aimé, elle en une sorte de réticence voulait qu’il ne sorte jamais.
A l’âge qu’elle atteignait elle aurait pu être mariée, 24 ans dans nos campagnes c’est l’âge où les femmes sont courtisées, convoitées et demandées en justes noces par un rude gars avide et frustré par une longue attente.
Marie en souffrance savait que jamais plus un homme ne viendrait frapper à l’huis de sa maison pour en une demande officielle à son père obtenir sa main.
Non plus jamais car maintenant marquée du sceau de l’infamie elle ira rejoindre la cohorte des damnées.
Le père Pierre Barit toujours immobile ruminait son désespoir, depuis six mois il buvait sa honte à grands traits.
Le temps pour lui s’était arrêté depuis que sa fille avait attiré l’opprobre sur leur famille, de mémoire aucune femme portant son nom n’avait osé fauter de telle manière, non jamais, interrogés les vieux du village confirmèrent ses dires en hochant la tête.
Pourtant la Marie était sérieuse, travailleuse, appliquée en son labeur, toujours première à l’office, que c’était-il passé pour qu’elle succombe.
Il n’en savait strictement rien car la bougresse se tenant dans un mutisme absolu ne lâcha rien de l’affaire.
La volée qu’il lui avait administrée avec sa ceinture devant la famille réunie ne l’avait pas fait parler.
Les heures qu’elle avait passées semi nue dans la campagne lorsqu’il l’avait jetée dehors l’avait rendue comme muette.
Un jour il l’avait en un geste d’impuissance enfermée dans la soue à cochon, elle en était sortie crasseuse, affamée mais toujours aussi peu diserte.
Sa mère au moyen de subterfuge l’avait questionnée sans relâche. Toutes les solutions avaient été soulevées. D’abord la Marie avait-elle été forcée, cela aurait demandé réparation de la marchandise dépréciée ou bien avait-elle été séduite par une quelconque connaissance familiale. Cela arrivait parfois dans les familles, ces foutues femelles faisaient bien tourner la tête à n’importe quel homme.
Mais peut-être aussi que se transformant en créature du diable la gentille Marie se transformait en catin à soldats, en libératrice des pulsions des jeunes mâles. Non rien, on ne savait rien. En toute l’égalité on avait bien essayé de lui faire passer. Une kyrielle de plantes abortives ne tuèrent pas le vilain fruit. Sa mère tenta désespérément en lui assénant des coups de poing dans le ventre, de lui faire rendre l’enfant du diable. Rien, la honte était accrochée dans le vilain ventre de la Marie Barit.
Chacun s’était détourné d’eux, Pierre en souffrait, sa femme en pleurait et le reste de la fratrie prit d’une haine sans précédent aurait étripé la fautive au bord d’un chemin.
Elle vivait donc son calvaire en dedans des murs sales et lépreux de la maison commune.
Après un temps qu’elle avait jugé infini, était enfin venu de faire tomber son vilain fruit.
Comme une expiation, la parturiente mit longtemps. Son père commençait à se dire que le bâtard pourrait crever au sein du ventre de la pécheresse ou bien qu’il naisse sans vie. Il n’aurait plus lui le grand père; qu’à jeter quelques pelletées de terre sur ce corps sans âme pour qu’enfin l’honneur rejaillisse de nouveau sur le front de la famille Barit.
Pierre entendit enfin un vagissement, l’enfant du diable était né, il se précipita en espérant qu’on moins cela ne fut pas une femelle.