LA SOUPE AUX PATTES DE POULETS, épisode 6, Le retour des mauvaises images plein les yeux

Même le ventre vide l’on succombe au sommeil, les filles finirent dans les bras de Morphée mais Daniel attendit le retour de son père.

Rien, il n’avait rien trouvé si ce n’est un quignon de pain moisi qu’il avait volé à des animaux.

Fernand partagea et garda une part à ses petites qui dormaient. Tout le monde  appliqua le précepte  » Qui dort dîne  », celui qu’on applique aux enfants pas sages et qui n’apprécient pas le repas proposé.

Daniel fit des cauchemars toute la nuit et se réveillant mille fois. Il voyait un homme s’enfuir sur son vélo, il sentait l’odeur de femme de la bourgeoise, il revoyait le vacher étendu mort.

Mais il devait endurer les affres de la faim, et l’estomac qui se contracte. A l’aube un fumet paradisiaque réveilla les dormeurs. Une vieille dame dans un poêlon bosselé tournait avec une grande cuillère qu’elle avait déniché, un savoureux breuvage. Cela sentait le bouillon et Daniel immédiatement sur ses pieds se souvint de celui délicieux de sa cuisinière de mère. Il s’approcha comme tous les autres. Le brouet était clair, très clair même, aucun morceau de lard, aucune carotte, aucune patate. La merveilleuse touilleuse souleva avec sa cuillère le met principal de son bouillon.

Pierrette eut un haut le cœur, Lucette s’enfuit au fond de la grange, Daniel détourna son regard et la bourgeoise lâcha  »  jamais je ne mangerai cela  »

Fernand grommela  » à Verdun on aurait bien mangé notre merde et bu notre pisse  » . Il n’empêche les pattes de poulets qui flottaient à la surface du liquide n’engageaient pas à la dégustation.

Une espèce de gélatine se formait en surface, c’était prêt, avis aux amateurs. Ce fut une sacrée affaire pour faire avaler ce potage aux enfants. Daniel pourtant pas difficile eut un haut le cœur, mais le regard noir de son père fit qu’il montra l’exemple et avala devant ses petites sœurs l’ignoble breuvage.

C’était maintenant le moment de repartir, Montargis était la prochaine étape, 40 kilomètres à faire avec des enfants sous un soleil de plomb et le ventre vide.

Cela se transforma en un chemin de croix, Pierrette ne pouvait plus avancer et les hommes se relayaient pour la porter. Les muscles devinrent lourds, les ampoules apparurent, l’on fit des pauses de plus en plus fréquentes, les colonnes de marcheurs étaient de plus en longues, faméliques, toujours le même spectacle. Les vaches  beuglaient à la mort de n’être pas traites, Ferdinand et les ouvriers en rattrapèrent afin de les soulager et aussi pour apporter quelque chose de substantiel aux estomacs.

Dans une petite commune ils eurent droit à du pain, fruit de la charité publique et d’une organisation municipale pas encore défaillante. Cela faisait d’ailleurs exception car dans la plupart des communes le maire avait déserté.

Il y eut encore des alertes et les avions à croix gammées, comme des corbeaux virevoltaient au dessus de la longue file de presque moribonds.

L’on vit encore des cadavres, une famille fauchée par une méchante explosion, le père pantelant, la tête ridiculement tournée semblait vouloir encore demander des nouvelles de sa famille. La mère tenant son bébé gisait dans l’herbe, sa belle robe blanche était maculée de sombres taches rouges qui maintenant viraient au noir. Les mouches faisaient déjà festin de la tendre chair du poupon. Une odeur acre montait en une écœurante volute, tous, à tour de rôle détournaient le regard mais gardaient pour de longues minutes la suave flagrance de la mort.

Pourquoi avait-on fait choix de se sauver, que faisait-on ici à crever doucement de faim et de fatigue. A ce niveau les voitures à moteur avaient singulièrement disparu et celles attelées avaient été abandonnées à Montereau. ll manquait maintenant du foin, la ruée avait pillé les réserves des fermes, les animaux hagards refusaient d’avancer..

La résistance humaine est presque sans limite devant la peur. Ils mirent vingt heures pour effectuer les 40 kilomètres.

La situation à Montargis virait au tragique et la condition sanitaire des réfugiés se dégradait.

On eut aussi la confirmation que Paris était occupé mais surtout que le maréchal avait demandé un arrêt des combats aux allemands. Cela devait se faire dans l’honneur entre soldats, Fernand qui pourtant vénérait Pétain eut comme un mouvement d’humeur. Ce fut fugace mais c’était une brèche dans la confiance sans borne qu’il lui portait.

Deux longs jours ils restèrent à Montargis, les allemands arrivèrent et les firent rebrousser chemin.

Comme à l’aller, le retour fut pénible mais on allait retrouver sa maison et dormir, dormir et manger enfin.

Sur place à Nangis ceux qui étaient restés, n’avaient pas été massacrés. Fernand retrouva sa maison boulevard Voltaire, elle n’avait pas été pillé.

Il retourna à son labeur d’ouvrier agricole, les rutabagas et les topinambours firent avec les tickets de rationnement leur apparition dans les ménages.

Daniel continua son apprentissage, continua à jouer au foot et enfin rencontra une belle paysanne de Rampillon. A la libération de Nangis il s’engagea dans la première armée de de Lattre de Tassigny et faillit se faire tuer à la bataille de la poche de Colmar.

Toute mon enfance j’ai entendu l’histoire de cette virée inutile et tragique . C’est avec plaisir que je vous la restitue afin que la mémoire se transmette.

Vous l’aurez compris Daniel est mon père et Fernand mon héros de grand-père et gageons que ces deux réunis ont fait l’homme que je suis devenu.

Pour clôturer cette évocation de l’exode terminons par une petite touche d’humour, à savoir que mon père n’a jamais plus mangé de soupe de pattes de poulets et qu’il s’en est pas plus mal porté.

Une réflexion au sujet de « LA SOUPE AUX PATTES DE POULETS, épisode 6, Le retour des mauvaises images plein les yeux »

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s