Fernand lui s’inquiétait un peu de ses parents, Charles et Léonie normalement devaient être aussi sur la route. Ils étaient partis avec les employés de la sucrerie Lesaffre où Roger, leur plus jeune fils travaillait.
Au loin on entendait encore le fer des roues de charrettes, de ceux qui coûte que coûte avançaient. Mais ce qui était le plus triste c’était encore d’entendre le beuglement des vaches non traites. Cela vous retournait l’âme d’autant que paradoxe, les femmes cherchaient du lait pour leurs petits.
Le lendemain matin après avoir mangé chichement l’on se remit en route, bientôt Montereau, tous pensaient que cela serait le début de la sécurité.
On eut dit finalement une bande de romanichels, pas lavés, dépenaillés, qui se mit en marche.
Le bourgeois tenta de redémarrer sa voiture, rien n’y fit, les hommes la poussèrent, mais rien ne put la faire repartir. On la cacha dans une grange mais sans beaucoup d’espoir qu’elle ne suscite pas l’intérêt du pillard. Madame en cassa son talon et on lui trouva une place dans la deuxième charrette. Un ouvrier agricole se mit à lui faire du gringue, sans se préoccuper du mari qui marchait devant.
Fernand rigolard disait tout haut, celle là, m’étonnerait qu’elle y passe pas.
De loin l’on voyait enfin Montereau et ses deux cours d’eau, l’Yonne et la Seine qui se rejoignaient pour n’en faire qu’un.
L’on voyait aussi la colline de Surville où Napoléon avait bombardé les autrichiens en 1814 lors d’une autre invasion.
Cela aurait pu être rassurant si des volutes de fumée n’apparaissaient pas également.
Puis le voyage presque bucolique prit un tour plus tragique, au détour d’un virage, l’innommable se fit jour.
Les Junker 87 avaient fait leur office, des dizaines de voitures gisaient là abandonnées, retournées. Des meubles brûlaient lentement comme pour un feu de la saint Jean, des bagages éventrés laissaient échapper des hardes. Un tas de photos, dérisoire souvenirs s’envolaient au vent.
Un couple de bœufs regardait en piétinant le spectacle prêt à repartir. Sur le bord une antique Renault se consumait lentement, la peinture partait en cloques, les sièges pleins de paille et couverts de cuir laissaient voir leurs ressorts. Sur le toit un matelas qui deux jours avant avait du voir les joutes amoureuses d’un couple d’amoureux, fumait en son intérieur et exhalait une odeur de crin brûlé.
Dans l’herbe pleurait une petite fille, les larmes coulaient comme un fleuve sur sa petite robe. Elle avait perdu l’un de ses petits souliers vernis de communiante, les parent au départ lui ayant passé ses habits du dimanche.
Dans le champs, un cheval les pattes en l’air le ventre gonflé, puait sa charogne maléfique.
Mais là sans doute n’était pas le pire, un homme gisait sur le dos, le ventre ouvert, les boyaux débordant encore chauds que de ses mains il n’avait plus retenir. Ses yeux étaient révulsés, il avait vu la terreur, avait senti sa mort. Pas très loin une scène morbide et fascinante, une femme nue dont les vêtements avaient été soufflés par l’explosion d’une bombe, gisait là sans blessure apparente. Chacun regardait, obnubilé par l’indécente nudité ou par l’immobilité de la morte. La blancheur de ses fesses contrastait avec le rouge de la mare de sang qui se coagulait sous sa tête. Un soldat qui passait, la couvrit d’un dérisoire linceul.
De l’autre coté un vieux, canne à la main hurlait qu’il avait perdu sa femme, fou de douleur. Sa fille vint le chercher et rassura ceux qui cherchait sa pauvre femme, elle était morte depuis dix ans et le pauvre n’avait plus sa tête.
Un groupe de soldats avait quand même prit position pour riposter, cela avait été vint, mais sauvait l’honneur.
En fait la route était pleine de morts, tas de chair désarticulée, dérisoires morceaux humains. Daniel qui n’avait vu que sa mère morte était livide, les gamines pleuraient et la bourgeoise geignait comme une enfant qui n’avait plus son hochet.
L’un des ouvriers Polonais qui connaissait le martyr de ses compatriotes à Varsovie laissait échapper des larmes. Un autre serrant les poings se jurait d’aller combattre quelque part.
Maintenant que nous arrivions, l’endroit se transformait en cimetière de voitures, civiles, militaires, une ambulance et même un corbillard. Les militaires se faisaient plus nombreux et tenez vous bien certains étaient encore organisés pour combattre.
La colonne se stoppa ,comme un serpent immobile sur une pierre au soleil.
Fernand se détacha et partit aux nouvelles afin de se renseigner pour le passage des rivières.
Le patron tenta d’acheter de la nourriture mais ne trouva rien. Les enfants se partagèrent le dernier quignon.
Au bout d’une éternité le père revint, les ponts étaient détruits. Tous se regardèrent en maudissant leur venue dans cette ville inconnue.
C’était une toute autre chose que précédemment, les carcasses de véhicules jonchaient les accès au pont, des maisons avaient souffert des bombardements. De nombreux cadavres d’animaux commençaient leur pourrissement et malheureusement aussi quelques pauvres malheureux.
Pour Fernand qui avait fait la bataille des frontières, la Marne, l’Aisne , Verdun, la Somme, le Mont Cornillet cela paraissait presque une farce, mais pour Daniel et les petites se fut un théâtre apocalyptique.
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