UNE ÉPIDÉMIE DANS LE VILLAGE DU GUÉ D’ALLERÉ A LA FIN DU GRAND SIÈCLE, Épisode 1

 

Le grand siècle en ces années a du mal à finir, il s’éternise, s’allonge et survit.

Il survit en la personne de celui qui l’a fait, il agonise enfermé dans des ors surannés.

Le vieux roi grelotte en compagnie de sa morganatique compagne dans la dorure de l’un de ses salons. Isolé en sa tour d’ivoire, seul dans sa magnificence il traîne et n’en finit pas de vivre.

Il a porté aux nues la France, il a agrandi son royaume, il nous a donné Versailles, il a protégé les arts, il a même donné son nom à ce 17ème siècle qui l’a vu naître.

Mais chez Louis XIV tout est grand y compris l’abîme qui le sépare des autres.

Chaque médaille à son revers et les splendeurs du plus beau château du monde ont les leurs.

Ce ne sont pas les milliers d’ouvriers morts sur le chantier et dans les marais de Versailles qui viendront nous contredire, ce n’est pas non plus les habitants du Palatinat qui le feront.

Les mannes des protestants morts aux galères et ceux qui fuirent le pays pour ne pas abjurer leur religion acquiesceront certainement mes dires.

La royauté en paiera le prix quelques décennies plus tard mais en attendant la plèbe courbe l’échine.

Tout à un prix, y compris la splendeur et c’est le peuple des provinces françaises qui le paie.

Présuré par des impôts sans cesses croissant, victime de la faim, du froid et des maladies, le peuple du grand Roi se meurt.

Mais alors que tout va mal, que son peuple crève, le grand père bienveillant décide que son petit fils régnera sur l’empire ou le soleil ne se couche jamais.

Mais pour cela une nouvelle guerre se profile , un bourbon doit régner en Espagne et qu’il en soit ainsi.

Ce nouveau conflit il faut le nourrir.

Alors en un ultime effort faisons mourir ceux qui restent encore, ceux qui malgré la faim poussent encore la charrue, ceux qui malgré les maladies sèment les grains du futur.

Si il leur reste une chemise, il nous faut la prendre, un bourbon doit régner et il régnera.

La Maintenon l’aurait-elle encore une fois mal conseillé, lui que plus personne ne tempère ou bien n’écoutant que sa sénile mégalomanie prit-il cette funeste décision tout seul?

En ce six octobre 1700, Simon Juteau fait les cents pas devant chez lui, malgré la froideur il a préféré sortir que d’entendre les jérémiades de sa femme Magdeleine.

Il n’y a pas encore eu de gelée mais la pluie se fait présente depuis plusieurs jours. Pour l’heure elle a cessé mais avec la nuit qui arrive se lève une sorte de brouillard épais. La présence du ruisseau qui coule entre les haies n’arrange rien, on dirait que les terres fument et qu’un souffle de vapeur sort d’une gueule béante et énorme.

Non loin Simon aperçoit  une lanterne qui  danse, c’est sans doute un serviteur du château qui s’en va faire quelques corvées. La lumière hésite puis se perd dans la nuit et la brume.

Les gens du château, il ne les voit guère car ces derniers demeurent le plus souvent sur la paroisse de Saint Barthélémy à La Rochelle. Ils viennent aux beaux jours, lorsque l’humidité glaciale du ruisseau se transforme en une légère fraîcheur salvatrice.

Mais même si il n’habite pas sur place leur avidité à percevoir leurs droits féodaux se fait rapacité par ces temps de misère.

Comme les autres Simon plie comme un roseau sous le vent, il ne rompt pas mais jamais ne se relève. La charge des impôts le laisse lui et sa famille à la limite de la famine. Pour l’instant ce n’est que la disette, mais qu’un événement survienne et le pas sera franchi.

Maintenant il a l’impression d’être trempé comme si une averse de printemps s’était déversé sur lui. Que fait-il donc ce foutu prêtre, cela fait plusieurs heures qu’il l’a fait quérir.

Enfin il apparaît, dans sa soutane noire, tenant un brandon rougeoyant qui éclaire sa marche. Lui aussi est trempé et déclare qu’on ne le reprendra plus à faire une telle course par un si mauvais temps.

Simon ne dit rien, il sait que le curé d’Aubons se déplace pour tout le monde et par tous les temps. C’est un bon prêtre qui vit de sa portion congrue et qui doit comme tous les humbles faire flèches de tout bois pour parvenir à seulement survivre. Simon travaille pour lui de temps à autre, il lui taille sa vigne et laboure son jardin.

Tous deux pénètrent dans la maison, il y fait un froid de sépulcre, Magdeleine Boucherie la femme de Simon est blottie le long de l’âtre. Le feu est maigre, Simon économise son bois car même si la forêt est proche comme tous il sait qu’il lui en manquera.

Dans ses bras elle berce le petit Jean, il a deux ans et depuis quelques jours il n’est pas très en forme. La maman est inquiète car l’enfant est chaud. Le curé s’approche, lui sait à quoi s’en tenir, il en a déjà tant vu depuis qu’il officie. Le bébé va passer il en est sûr, il est maintenant trop faible. D’ailleurs la maman l’est aussi, maigre, blafarde à force de veiller et de privation. Son lait ne doit plus guère être nourrissant. Pendant que le curé réconforte les parents, petit Jean choisit de partir. Il n’est plus. Les parents non plus de larme, on enterrera le bébé demain dans le petit cimetière de Mille écus.

3 réflexions au sujet de « UNE ÉPIDÉMIE DANS LE VILLAGE DU GUÉ D’ALLERÉ A LA FIN DU GRAND SIÈCLE, Épisode 1 »

  1. Bonjour,
    Un grand merci pour ce nouvel épisode. J’ai suivi la dernière histoire pendant des semaines avec beaucoup de plaisir. Tous les matins (ou presque j’attendais impatiemment la suite des aventures de Rosalie). Bravo pour vos textes !
    Amicalement
    Frédérique

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  2. Merciiii !!
    J’attendais de vous pouvoir vous lire à nouveau.
    J’ai lu la vie d’Angelique avec beaucoup de plaisir ainsi que l’histoire de votre famille qui se déroule du côté de Provins et au bord du Morin .
    J’attends chaque épisode avec impatience.
    Je vous souhaite une belle journée
    Sylvie

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  3. Bien écrit et très réaliste, ce récit est émouvant. Je le découvre grâce FB. Comme quoi on peut encore trouver de belles choses sur ce média tant décrié. Dans mon arbre généalogique j’ai rencontré à plusieurs époques et divers lieux des « hécatombes » pour cause d’épidémies diverses dont le choléra et un de mes lointains aïeux soldat (et laboureur père de famille) est mort au fort Saint-Jean à Marseille lors de la grande peste de 1720. Merci.

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