Puis ce fut le cochon, la mise à mort de la bête, puis toute la cuisine qui s’en suivait. Comme j’étais la seule femme à la maison je n’étais pas capable de tout faire et mes amies Louise et Marie Jeanne comme de coutume vinrent me prêter main forte. D’ailleurs ce n’était que coutume de s’entraider en ces moments si particuliers.
Mon père s’y entendait pour tuer le goret, d’ailleurs il prêtait volontiers son expérience à ceux qui répugnaient de le faire eux même.
Nous étions tous là et quand nous approchâmes de l’enclos, Napoléon leva la tête, nous regarda, flaira et d’un jet puissant se soulagea. Ce serait la dernière fois, mon père et Stanislas entrèrent avec une longe, la course commença, notre pépère n’entendait pas se laisser immobiliser. Il courut, faillit renverser mon père qui jura, Stanislas était couvert de merde et de boue. Napoléon ne se laissait pas facilement détrôner. On compara avec le Napoléon de l’année d’avant, car chez nous on les nommait tous comme cela. Celui là était bien plus virulent , plus fort aussi. Père parvint à le maîtriser et finalement la bête, hissée et bloquée sur une sorte d’échelle attendit son sort en hurlant. C’est certain dans le silence prégnant de la campagne prise par le gel le cri du cochon dut s’entendre jusqu’au bourg.
L’assassinat alimentaire allait commencer, il y avait plusieurs écoles, plusieurs habitudes dirions nous, assommer le goret ou pas, avant de le tuer. Mon père disait que lui mettre un coup de maillet nuisait à la saignée, moi je me mettais à la place de la bestiole, se sentir vider de son sang ne devait être guère plaisant. Donc, mon bon Napoléon; immobilisé, les boyaux vides comme un condamné à mort à qui on aurait refusé un repas, vit approcher mon père avec son grand couteau. En fin spécialiste qu’il était, il lui enfonça dans la veine du cou. Ce ne fut qu’un jet, un flot, un ruisseau de sang qui fut recueilli dans une terrine. Liquide précieux comme un beau blé, mon père avec son pouce en régule le débit, Antoine agite les pattes comme une pompe pour faire venir tout le sang.
Stanislas plongeant ses mains dans le seau, farfouillait dans le nectar visqueux pour en extraire les caillots qui se formaient malgré le vinaigre déposé au fond du récipient. Les poules et le chien en raffolaient et se battaient presque pour être les premiers au festin.
C’était la fin, mon Napoléon n’était plus. Les hommes le détachèrent et le posèrent sur le bayart. C’était une sorte de brancard, mon mari et Antoine le soulèvèrent avec peine et déposèrent la victime sur un lit de paille.
On y mit le feux , paille bien sèche pour éviter que la viande ne prenne le goût du brûlé. Après avoir éteint les dernières flammèches, il fallait s’activer à racler la bête. Couleur rose et blanche, Napoléon était enfin purifié et lavé. Cela méritait bien un petit coup et la bouteille de blanc déjà bien chancelante fut terminée avant la fin de la régalade. Antoine s’en fut au chai pour ravitailler la troupe.
Mon père pour faire plaisir à ma petite sœur tortilla les sotilles des pattes du cochon et en une offrande symbolique lui donna en rigolant. La petite ne sachant que faire des onglons de Napoléon s’enfuit en courant. Antoine coupa la queue du cochon pour l’offrir à quelques pucelles du village. Cela fit rire les lascars.
On emmena la victime dans la grange et on le rependit. J’eus un pincement au cœur tout de même car je l’avais nourri pendant plusieurs mois. Mais bon c’était notre seule source de viande il fallait bien en passer par là. Le père lui ouvrit le ventre puis en sortit les viscères, l’odeur était forte mais personne n’y prenait garde, surtout ne pas crever les boyaux. Papa s’épongea le front et se donna du cœur à l’ouvrage en forçant de nouveau la bouteille. Ensuite il enleva la pire, cela me dégouttait et j’eus malgré moi un haut le cœur quand je vis, les poumons, le foie, la rate, le cœur et la langue alignés sur la grande planche qui reposait sur deux tréteaux.
Moi avec les femmes je pris les tripes et nous allâmes au ruisseau pour les laver à grande eau. Le travail était pénible car l’eau était glacée. Nous les avions tendus sur des arceaux d’osier pour mieux les rincer. Ensuite on les déposa dans une cuvette.
Le lendemain nous les remplirions de sang à boudin et de chair à saucisse. Quand au gros intestins j’en ferais des andouilles et moi personnellement c’était ce que je préférais.
Mon père récupéra le fiel qu’on fera sécher et qui servira d’onguent pour les petites blessures. Comme rien ne se perd Antoine coupa la bite du cochon que l’on mit à fumer et qui servira à graisser les scies.
La journée était terminée, il fallait attendre que le cochon refroidisse pour le débiter.
Le lendemain on prit les même et on recommença, on détailla des rôtis pour offrir à ceux qui nous avaient aidés tout au long de l’année. Ces derniers feraient de même, comme les cochons n’étaient pas tous tués en même temps cela faisait comme un roulement.
Le reste de la viande fut mit dans le charnier pour être salé. C’était notre réserve de viande. On prépara ensuite les jambons, sel, poivre épice, thym et laurier, puis enveloppés dans un sac le père les enterra dans le chai pour qu’ils maturent. Ils finiront à l’issue suspendus dans la cheminée pour y être fumés et séchés.
Ce n’était qu’explosion de saveurs, saucissons , jambons, andouilles, grattons. Nous avions travaillé toute la journée, mes mains en étaient rosies.
Alors que la graisse dans un immense faitout finissait de se transformer en saindoux nous passâmes joyeusement à table. Ce fut une orgie de viande, un festin pantagruélique. Mon père saoul en hommage à Napoléon leva son verre et cria vive l’empereur.
Bien sûr on dut prélever une part de toutes ces cochonnaille et le lendemain je l’emmenais au château pour qu’elle y soit cuisinée par la cuisinière de ces messieurs dames.