Au matin je sentais le froid qui me mordait les pieds, dans l’agitation de mes rêves la couverture avait bougé. L’atmosphère de la maison changeait au cours des saisons, en novembre elle n’était pas à son avantage, vous n’aviez pas envie de sortir de votre abri protecteur. Instinctivement je me rapprochais de la chaleur de Stanislas. Celui ci à moitié réveillé y vit une invite, cela je le compris rapidement son éveil sensuel était assez évident. Moi je ne voulais que chaleur, cet animal croyait que j’allais lui faire l’amour le jour de la fête des morts.
Non, je me décidais à l’interroger sur un départ éventuel du jeune valet. Pas très futé mon homme se pausa quand même la question de savoir pourquoi alors que nous étions au lit je lui demandais de tels renseignements.
Pour contrer son doute je me fis un peu câline. Peut-être que l’église tolérerait que je lui fasse don d’une caresse en lieu et place de mon corps. Ceci fait contenté, heureux, le bougre se rappelant ma question m’affirma qu’à sa connaissance le départ du valet n’était pas prévue.
Je redevins sereine et au retour de l’étable je pus me préparer pour la messe du matin. Mon père n’était pas là alors ce fut toilette pour tout le monde. Je commençais par moi, il y avait un peu de travail car exceptés les mains et le visage l’eau ne m’avait guère effleurée depuis un bon moment.
En me débarbouillant l’ensemble du corps je me disais qu’il serait rudement agréable d’avoir une immense bassine où nous pourrions nous tremper. Je crois qu’il en existait chez nos princes, mais à ma connaissance il n’y en avait pas non plus au château de la Guignardière.
Puis propre comme un sou neuf je passais ma sœur à la patouille. Un grand bac, de l’eau chaude et je lui mis le cul dedans. Elle y joua un long moment, je m’assurais que l’eau restait à température et qu’elle n’avait pas froid. Mon Dieu ce qu’elle était crasseuse, l’eau n’était plus très claire. Je me disais toi ma petite gorette tu vas voir la bassine un peu plus souvent.
Je changeais ensuite mon bébé mais il n’était pas question que je le trempe dans l’eau, elle était bien trop jeune. Puis je suggérais à mon mari de se baigner. Il me regarda comme si je lui avais dit de se jeter au feu. Puis en rigolant me dit qu’il allait se mettre tout nu dans la grande bassine à buée et que je n’aurais qu’à le lessiver. Je n’avais plus le temps de répondre à ses idioties, nous devions partir à la messe.
Là bas la foule se pressait, aucune femme n’aurait manqué cette messe pour les morts, c’était sacrilège de manquer à nos morts en ce jour qui leur était dédié.
A la sortie en famille nous allâmes au cimetière. Blotti autour du cimetière sous la protection tutélaire de notre seigneur l’enclos sacré attendait notre visite. Ce n’est pas que nous avions beaucoup de morts à nous en cet endroit, mais je savais y trouver ma mère et ce n’était pas si mal. A vrai dire peu de tombes étaient recouvertes d’une pierre tombale, celle de maman à l’ouest assez bien exposée n’en portait pas . Papa avait juste planté une croix de bois, aucun nom n’apparaissait et pour cause, nous étions les seuls à savoir qu’elle se trouvait là. Elle nous avait quittés il y a presque vingt ans, j’avais sept ans. Je n’en garde pas un souvenir précis, peut-être une vague silhouette, un léger parfum. Mais sans que je puisse dire pourquoi je la sentais encore près de moi. Alors je révérais sa tombe et souvent je venais m’y recueillir. Je n’avais pas besoin comme tant d’autres d’attendre la fête des morts pour venir ici. Je m’y attardais alors un moment et je lui parlais, cela me faisait du bien.
Groupés autour de ce jardin du souvenir, nous nous recueillîmes. Nous avions sans doute chacun notre manière, on sentait bien que mon père était dans un ailleurs, que mon frère se fichait de l’instant comme il se fichait de tout ce qui ne lui était pas personnellement destiné. Stanislas lui je l’avais déjà perdu depuis l’office, quand à ma petite sœur Thérèse elle trouvait bien le temps long dans cet endroit qui ne lui disait rien qui vaille. Moi mon attention fut fixée par une petite fleur qui malgré le froid persistait à s’ouvrir au monde. J’y vis comme un signe du destin comme une persistance. Car finalement le culte des morts n’était que l’espérance d’une vie éternelle que nous avions obtenue par la mort de Jésus notre seigneur.
J’abandonnais ma contemplation et l’on se rendit sur la tombe de ma belle mère, la terre n’était pas encore entièrement tassée et nous nous trouvions donc en face d’un petit tertre. On expliqua à Thérèse que se trouvait là sa maman. Elle ne parut pas comprendre et son attention fut reportée sur un chien qui avait échappé à la vigilance de ses maîtres.
Là aussi petite prière, mais cette visite mortuaire commençait à lasser les hommes. On eut dit qu’ils entendaient tinter les verres de l’auberge. Allons boire aux morts dit mon père, volontiers lui répondirent Stanislas et Antoine. Au loin j’aperçus Aimé un petit bouquet de fleurs à la main se penchant vers une croix. Je me demandais quel mort il honorait, je ne lui connaissais pas de famille sur Avrillé.
Je voulus un instant me rendre sur la tombe de ma petite sœur, ce n’est pas parce qu’elle n’avait vécu que quatre jours que nous ne devions pas nous arrêter un instant sur sa dépouille. Mais le croyez vous, je n’ai retrouvé aucune trace de l’endroit où on l’avait jetée. Plus la moindre trace, rien rayée, j’en fus triste et je quittais le champs clos en ruminant de bien tristes pensées
Contrairement aux autres membres de la famille je reviendrais .