UNE ANNÉE DE LA VIE D’UNE FEMME, SEMAINE 44, la Toussaint

 

Généralement, en ces dates la température chutait de beaucoup, c’était ainsi, les éléments commandaient. Cette année 1836 ne ferait sans doute pas exception, il était dit que nous entrerions au mois de novembre sous l’égide du froid.

Ce fut brutal et nos corps eurent un peu de mal à s’habituer. La maison était une véritable glacière, mon père contrôlait son bois comme il vérifiait le niveau de son vin dans ses barriques. De la température lui il s’en foutait car dans la maison il n’y était jamais. Par contre sa fille se prit d’une vilaine toux et la mienne mouchait bien vert.

Il fallut que je parlemente, que je boude, que je me fâche pour qu’enfin il consente à me laisser chauffer cet antre mal calfeutré et ouvert à tous les mauvais vents.

Le 31 octobre nous fêtions la Toussaint, mon père gueulait encore, car cette année cela tombait un lundi. Nous n’allions pas travailler pendant trois jours. Les hommes disaient que j’avais pris mes quartiers d’hiver à l’église, ce n’était pas faux entre les messes du dimanche, celles de la Toussaint et celles de la fête des morts du lendemain j’avais l’impression d’avoir épousé le seigneur.

La fête de la Toussaint portait bien son nom, et était bien sot celui qui ne voulait pas comprendre. Les saints étaient fort nombreux et en dresser une liste était une gageure, quand je disais dresser c’était histoire de dire, moi qui n’avais pas la science de l’écriture. Devant cette abondance l’église décida de leurs accorder une fête à tous, saints reconnus ou non reconnus. C’était un moyen de faire comprendre au peuple que chacun pouvait arriver à une sainteté universelle.

Moi malgré mes prières je ne risquais pas d’être une sainte, mon corps était marqué du sceau de l’ignominie car possédé par deux hommes. Bon bon je faisais de mon mieux pour résister à la tentation et cela pouvait être mis à mon crédit.

Il y avait interdiction formelle de travailler, hormis le soin des bêtes mais cela je l’ai déjà dit.

Tous à la messe, le village en son entier, encore et encore disaient les mystiques, toujours toujours disaient les septiques.

Le texte des évangiles lu en ce jour se nommait les  »béatitudes » c’est un certain Matthieu qui l’a écrit, il y a bien longtemps. Vous le connaissez sûrement cet écrit :

Heureux les pauvres en esprit,
car le Royaume des Cieux est à eux.
Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.
Heureux les affligés,
car ils seront consolés.

Moi je l’aimais beaucoup cela entrait en moi et me faisait réfléchir.

Personne n’eut l’idiotie de mourir en ce jour de commémoration des saints, il n’aurait pu être enterré, car nous avions interdiction de brasser la terre.

Toujours cette référence à la mort qui nous les femmes nous empêchait de faire la lessive, rapport au linceul voyez vous.

Ce n’était donc pas un jour très gai, il faisait froid, très froid, les grolles dans les arbres se moquaient même de nous. Il eut-été malvenu de boire et de jouer ce jour alors les hommes s’embêtaient ferme. Il ne leur restait plus que la discussion

Le soir que je revenais des vêpres; les hommes étaient autour du feu à manger des noix, le tableau était beau, mon père plaisantait en m’appelant sainte Angélique. Le pauvre si il savait.

Antoine était resté au village car les jeunes hommes devaient se relayer pour sonner le glas toute la nuit jusqu’à la messe du lendemain.

Heureusement nous étions loin du village, vous parlez de dormir avec une sonnerie pareille. Puis mes deux idiots se mirent à raconter des histoires terrifiantes pour faire peur à Thérèse. Ce n’est pas eux qui allaient devoir se lever cette nuit.

Au lit Stanislas continua ses bêtises en me mettant ses pieds froids sur le ventre, me demandant de réchauffer un pauvre défunt.

J’avais aussi forcé un peu le feu afin que cette nuit les trépassés puissent se réchauffer. Je n’étais pas spécialement peureuse , mais dès que l’on parlait de cela je n’étais guère rassurée.

Outre les  morts qui me tarabustaient un peu, un autre sujet me préoccupait beaucoup plus. Souvent en cette période de l’année l’on reconduisait ou non les domestiques. Je ne savais pas quelle sorte d’arrangement mon père avait avec la famille d’Aimé Traineau. Allait-il partir ou rester, moi j’avais envie des deux. Qu’il parte et tout redeviendrait tranquille, je retrouverais une sérénité de femme mariée, il me resterait simplement la culpabilité de l’avoir fait. Par contre si il restait je savais que mon attirance pour lui demeurerait et certainement nous commettrions d’autres folies. De ne pas savoir me torturait et  après tout je ne savais pas ce que lui pensait réellement de moi et de notre folie. Peut-être n’étais  je qu’un corps , qu’un réceptacle pour sa jeune fougue amoureuse. Il n’avait peut-être aucun sentiment pour moi hormis mes attributs féminins. C’était méchamment travaillé par ces pensées noires que je trouvais un mauvais sommeil. Mais le rêve le plus récurent lorsque j’étais dans cet état de nervosité était que je me faisais surprendre par mon père dans une position fort incommode. Mais le plus bizarre c’est que je n’arrivais pas à déterminer où j’étais et surtout quel homme s’était coulé en moi. De plus sans que je puisse intervenir , muette, immobile je présentais que mon père nous observait depuis le début. Puis à chaque fois cet homme que je pensais être mon père se muait en quelqu’un d’autre. Imaginez la tête que j’avais au matin, Stanislas me regardait en me disant, on dirait que tu as fait des galipettes toute la nuit. En quelque sorte, il avait bougrement raison.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s