Bien sûr le malaise que j’ai eu arriva aux oreilles de mon mari et je dus lui fournir un semblant de réponse. J’avais attrapé froid, juste une légère indisposition. D’ailleurs le temps s’était détérioré, heureusement les raisins étaient pour la plupart cueillis. Mon père en grand prévisionniste prévoyait un mauvais temps précoce, froid et humide.
Mais plus que les prévisions de mon père le départ des dernières hirondelles marquait bien le changement.
La maison devenait soudain plus froide, moins accueillante, c’était la période où nous l’aimions la moins. Pas encore refuge contre les grand frimas mais seulement refuge contre la fraîcheur et la nuit qui déjà tombait rapidement.
De fait de noirs nuages semblaient tourner sur le village comme des oiseaux de proie au dessus de blés nouvellement coupés. Ils formaient encore de sympathiques silhouettes mais ce n’était que tromperie avant qu’ils ne se transforment en masses sombres chargées d’eau. Le vent se jouait de nous, fort puis disparaissant il s’amusait avec les nerfs des patrons imprudents qui n’avaient pas terminé leurs ultimes travaux. Puis se décidant enfin à montrer leur vrai visage ils lâchèrent une méchante pluie froide et pénétrante comme un avertissement qui n’aurait dû apparaître qu’en novembre.
Tout fut en quelques heures couvert d’eau, la terre encore dure d’un été fort sec n’avait pu absorber le déluge soudain. Le chemin qui menait à la métairie se trouva impraticable. Le père jurait comme un charretier, aussi doué qu’il croyait être, il n’avait pu prévoir un tel déchaînement. Mais magie des vents océaniques les vilains nuages furent poussés au loin vers le département des Deux Sèvres. Ce n’était que justice pourquoi aurions nous tout pris.
La pluie forte avait effrayé nos vaches, elles s’étaient dispersées sur des terres voisines et mues par un automatisme venu de la nuit des temps, elles se regroupèrent et se mélangèrent en se serrant entre elles, beuglant à la mort. Tous furent chargés de les ramener et je vous dis que ce ne fut pas très facile.
Quand enfin tout rentra dans l’ordre la journée était terminée.
Les ruisseaux avaient retrouvé un peu de fierté et notre mare qui semblait souffrir redevint ce qu’elle avait toujours été, débordante et généreuse.
Le lendemain comme par enchantement réapparut le père Murail, mon père avait bien prédit qu’il reviendrait. En cette matière, le père connaissait la nature humaine. Ils reprirent encore et encore les négociations. On eut dit deux notaires, c’était marrant et pitoyable à la fois. Chaque chemise de la pauvre engrossée étaient comptées, chaque pots fussent-ils vides étaient additionnés. Mais normalement dans la balance des mariés de notre époque un mince voile était pris aussi en compte . Hors ce léger tulle Marie Rose ne l’avait plus, perdu dans une grange ou un chemin. Perdu disait mon père, volé disait Murail, la distinction était de taille. La petite était-elle responsable de cette disparition ou est-ce mon frère qui était le voleur . On finirait peut-être par trouver un accord, mon frère se morfondait de ne pas voir Marie Rose enfin si on se réfère à ce qu’il dit. Car dans la réalité des bruits couraient que le jeune Herbert chassait du coté de Poiroux et flairait les jupons d’une bonne fille bien grasse de chair mais surtout de terre. Car voyez vous mon frère n’avait pas abandonner l’idée de devenir un jour possesseur de ses propres terres. Il en était intimement convaincu il était prêt à toutes les concessions et les traîtrises pour parvenir à ses fins. Si il avait pu trouver une veuve avec des terres mais sans main d’œuvre il se serait jeté à son cou sans se soucier d’une différence d’age. Il aurait de la même façon pris une héritière avec un ventre rond, adoptant les terres, l’enfant et l’imprudente. Si il avait pu faire une autre affaire que celle de Marie Rose il ne se serait pas gêné et aurait abandonné la mère et l’enfant. Contrairement à Augustin il n’y avait aucune droiture dans sa conduite, tortueux et orgueilleux il aurait tué, père et mère et dénoncé le seigneur.
Tout cela pour dire que la chose avançait à petits pas et qu’il n’y avait aucune date de décidée.
Le père pour s’en amuser trouvait quand même que c’était mettre bien haut cette Marie Rose, cette moins que rien. Tout en recevant Murail, il réfléchissait lui aussi à une union plus glorieuse, il voyait en Antoine la continuité de lui même. N’ayant pu s’élever par le mariage il se serait bien vu beau-père d’une fille de laboureur, de meunier ou d’un artisan de village ayant pignon sur rue. Il pensait que son sang et le sang de son sang valait mieux que la destinée qu’il avait eu et que son fils s’apprêtait à vivre.
Moi je n’étais pas comme cela, ce que j’avais me suffisait, Stanislas n’était que domestique de mon père et peut être qu’il ne serait jamais lui même métayer. Mais il ne me venait pas à l’idée d’envier ou de vouloir la place d’une autre.