Pour l’heure mon père était inaccessible à la moindre nouvelle, il surveillait la fermentation de son vin et comme je l’eus fait pour du lait dont je surveillais le débordement. C’est une image bien sûr mais qui reflète bien son inquiétude de mal faire.
Bien sûr les vendanges se poursuivaient , notre propre parcelle était terminée mais il en restait de multiples. Le travail comme je vous l’ai dit était collectif. Nous étions chez René Delhoumeau. Lui aussi prenait les choses au sérieux mais avait sous la pression tendance à malmener ses journaliers.
Il y eut prise de bec et les hommes faillirent en venir aux mains, René pingre refusait le coup à boire et cela ne se faisait pas. La pause était sacrée, depuis le lever du jour les employés s’échinaient avec leur serpette. Nous fumes pas loin du drame, un grand gars de Poiroux s’énerva tellement qu’il faillit asséner un coup de poing à son patron du jour. Moi dans les rangs je crus même voir étinceler la lame d’un couteau. Diable, le sang leur chauffait t-il dans les veines. Cela s’arrangea on eut les mêmes avantages que dans les autres métairies. Mais le travail joyeux du départ sombra dans la mélancolie. Le soir l’on mangea ensemble mais l’ambiance était tout de même moins festive. Marie Jeanne avait fait un peu roussir les haricots. Pour René ce fut la goutte qui fit déborder le vase. Méchamment il la traita de bonne à rien, elle se rebella et ils se querellèrent. Contredire l’autorité d’un homme, contredire l’autorité d’un métayer devant les domestiques et journaliers était assez téméraire. Même si ils ne la portaient pas réellement chez eux, nos maris voulaient le faire croire. C’était un accord tacite entre eux et nous, nous leurs laissions croire et nous faisions ce que nous voulions, enfin relativement et je précise en nos tâches domestiques.
Marie Jeanne s’élevait donc au rang des femmes qui contestait l’autorité maritale, ce n’était pourtant pas le cas pour elle, il n’y avait pas plus soumise, mais je ne sais , la fatigue, l’exaspération de paraître de jamais bien faire entraînèrent sa rébellion. Elle partit en pleurant, laissant René avec sa louche de mogettes. Moi en amie j’allais la rejoindre laissant ces mâles dominants, à leur vin, à leur fermentation, à leur moût et à leur supériorité.
J’étais heureuse, je venais de recevoir des nouvelles de mon frère. Un colporteur qui venait de la capitale de l’Aunis vint sous couvert de vente me prévenir qu’ Augustin avait rejoint la Rochelle. Il avait même trouvé à s’embaucher comme débardeur sur le port .
En veine de discutions n’ayant sans doute rein d’autres choses à faire, le messager me décrit par le menu le paysage dans lequel évoluait mon frère.
Moi qui n’étais jamais sortie de mon trou, je fus toute ouïe et je bus les paroles du conteur.
A l’entendre parler l’endroit fleurait bon la merveille. Le ciel dont le bleu était incomparable aurait pu donner son nom à l’une des variantes de bleu d’un palette de peintre, bleu La Rochelle me précisa t-il en rigolant. Puis il y avait les tours du port, blanches, majestueuses, maîtresse du port et de la ville. Il m’en vanta l’architecture, fier de ces vénérables pierres.
Il m’expliqua que mon frère gîtait dans le quartier des pécheurs le Perrot. Ce n’était que couleur différentes, que dialectes différents, on y parlait, Saintongeais, Breton, Vendéen, Hollandais, Anglais, mais aussi Français. Je voyais en songe les yeux écarquillés de mon frère devant cette Babel de langues.
Il me narra les filets des pécheurs qui comme des napperons empesés, séchaient sur les quais, les voiles aux couleurs multiples qui dansaient sur les embarcations amarrées du quai en pierre de taille. On y voyait un monde grouillant de pécheurs en vareuse de toile, de marins de la royale qui arpentaient le port à la recherche d’une bonne fortune ou d’une demoiselle tarifée. On croisait aussi tout un monde d’artisans, tonneliers, cordiers, marchands, cloutiers mais aussi quelques bourgeois cossus sentant leur réussite dans le négoce des eaux de vie de l’arrière pays.
C’était donc au paradis que mon frère avait échoué, loin des ceps tordus de notre minable vignoble, loin du paysage étriqué de notre bocage, loin des menhirs phalliques du camps de césar où du bois de Bourgon.
J’espérais qu’il trouverait le bonheur, mais j’espérais qu’un jour besace à l’épaule je le verrais réapparaître. Mais cette vision idyllique de son univers me faisait finalement peur, les humains étaient les mêmes partout, faits de jalousie, d’ à priori et méchanceté. Je ne pensais pas que la particularité de mon frère fut mieux accepter dans ce monde maritime que dans notre monde de la terre. J’espérais simplement que la densité de la population le cacherait plus longtemps et qu’il ne serait pas obligé de reprendre sa route inlassablement à la recherche d’un monde moins cruel à la différence.