UNE ANNÉE DE LA VIE D’UNE FEMME, SEMAINE 40, les vendanges

 

Comme partout je l’imagine les vendanges étaient une sérieuse affaire. Mon père en perdait la tête, c’était à n’y rien comprendre tant il avait peu de pieds de vigne.

Dans les temps anciens c’était le seigneur tout puissant qui donnait l’autorisation de commencer la récolte, on appelait cela le ban. Depuis la révolution ce droit avait été aboli. Enfin c’était un grand mot de le dire car toutes les vignes appartenaient encore au châtelain. C’était donc monsieur Juchereau et son régisseur qui après être passés sur toutes les parcelles leurs appartenant; avaient convenu que le raisin était à maturation.

Nous voilà partis de bon matin, la journée serait encore rude, il faisait une méchante chaleur d’arrière saison. Le raisin prêt à éclater ne supporterait pas un orage trop fort. L’humeur était bonne, les hommes égrillards. Stanislas m’avait mis une main aux fesses devant tout le monde , il savait pourtant que j’avais horreur de ce genre de manifestation. Nous arrivâmes sur notre parcelle, le père attendait impatiemment la venue du propriétaire, c’était symbolique il se devait d’être là. Il arriva sur un cheval noir magnifique, ostentation ridicule nous savions bien qu’il était riche et nous pauvres. Hautain, cassant, il rappela qu’il n’était pas là pour se faire voler mais pour percevoir ce qui lui était vraiment dû. Mais bien sûr mon seigneur, les chapeaux passèrent de la tête aux mains en un signe de respect pour le dispensateur des terres.

Venu avec lui monsieur Hiss, rustaud mal léché n’était qu’un valet qui aurait revêtu des beaux habits. Papa disait que c’était un lèche cul, Stanislas disait plutôt qu’il léchait le cul de sa patronne. Allez savoir derrière les dorures et les culottes de soie il s’en passait de belles.

Bon on peut travailler, là aussi nous nous regroupions pour aller plus vite comme au mois d’août pour les blés. C’était la moisson du vin en quelques sortes. Moi j’étais à couper les grappes, avec beaucoup de femmes et d’enfants, les hommes faisaient les porteurs.

Le pauvre Aimé avait été chargé d’une hotte et visiblement ployait sous la charge. A chaque fois que je portais mon seau sur son dos je l’encourageais. Je sentais sa sueur d’homme à la peine.

Grappe après grappe, seau après seau nous remplissions l’immense charrette qui nous attendait en bout du champs. La chaleur nous accablait et une pause devint nécessaire , mon père donna le signal. Moi pour tout repos, je devais faire le service puis donner la tétée à Marie. C’est alors que pour rigoler mon mari me coinça de ses bras musclés et fourra une poignée de raisin dans mon corsage. J’en avais partout et mon vêtement se teinta de rouge, j’étais en colère et aussi amusée, il allait me le payer et c’en suivit une poursuite entre les ceps. Ce fut le départ d’un joyeux combat, chacun poursuivant sa cible. Nous étions jeunes et parfaitement aptes à nous amuser encore. D’un œil je vis que mon père avait barbouillé le visage d’une jeune journalière et qu’il joutait avec elle d’assez près. Il mit fin d’un geste à la rigolade et tous reprirent le travail, moi avec d’autres femmes à l’écart assises sur un chiron nous ouvrîmes notre corsage pour donner à boire à la génération qui dans quelques années vendangerait avec nous. Il était assez coquasse de nous voir ainsi mélangeant encore une fois de plus ce que nous avions de plus intime avec notre travail. Pour chaque femme il en était ainsi, nous abandonnions le labeur pour donner le sein. Nous abandonnions que bien peu de temps les sillons de nos champs pour accoucher et nous élevions nos marmots en même temps que notre cheptel.

Aussi pudibonde que nous étions toutes, la sortie de nos seins pour nos chiards assoiffés ne présentait aucune difficulté. Il eut été malvenu pour les hommes de prêter attention à ce que nous faisions.

Nous avions presque terminé, j’étais harassée et un peu nauséeuse. Pour rentrer nous suivîmes la carriole comme on suit un cortège funéraire ou plutôt je m’exprime mal comme un cortège de mariage.

Il était trop tard pour presser et cela fut remis au lendemain, mon père n’aimait pas beaucoup cela mais la nuit tomberait bientôt et on n’y verrait que goutte.

Moi je fis réchauffer ma potée, remettant à plus tard la préparation du repas festif qui viendrait clore le ramassage du raisin.

Avant que de me coucher je fis au pied de mon lit une prière. Goguenard Stanislas se moqua de moi , peut-être étais- je risible les cheveux détachés, en chemise, semi nue à genoux sur la terre battue.

Vient donc prier avec moi me dit -il cela sera plus efficace. J’va te montrer une bondieuserie, cela le fit rire et moi sourire. J’aimais ce bonhomme, traître à notre serment de fidélité mais qui me faisait rire à tout ramener à la gaudriole.

Comme il me le répétait cela au moins c’est gratuit, pas besoin d’autorisation ni d’ouverture de ban.

Il rajoutait comme un leitmotiv le corps d’une femme est la seule véritable richesse de nous autres.

Il avait peut-être raison, mais faire des galipettes ne nourrissait personne. Quand à la gratuité il parlait sûrement de celle des hommes car nous en paiement de tout cela nous avions notre lit de souffrance pour accoucher.

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