UNE ANNÉE DE LA VIE D’UNE FEMME, SEMAINE 39, les confidences du fugitif

 

De fait mon frère ne se cachait pas très loin, même très près si l’on peut dire. En effet Aimé m’avait révélé qu’il se cachait dans le bois de Fourgon sur les terres du château de la Guignardière. Si on le trouvait là bas sur les terres de Monsieur c’en était fait de nous et de lui.

Sur les indications d’Aimé je me rendis là bas, autant vous dire que cela ne m’enchantait pas, car comme beaucoup de lieux sur Avrillé, j’y ressentais comme une influence maléfique.

Là bas aussi se trouvait de ces grosses pierres, il y en avait même beaucoup, certaines alignées, certaines éparses, certaines grosses, d’autres ayant l’aspect d’animaux. Comme à la fontaine de Gré je n’aimais guère y aller. Ces endroits ont sans doute été occupés par des populations lointaines, on dit beaucoup de choses là dessus et certains disent que ces gros cailloux sont des tombes ou des lieux de culte. C’est pour cela que je ressens toujours comme une présence. Moi les fantômes et les esprits qu’ils soient ceux de populations anciennes ou de nos proches récemment décédés cela me fout la frousse.

Mais bon un matin ou j’étais à peu près tranquille je pris mon courage à deux mains. Pour une raison de sécurité je pris un chemin détourné, c’est à dire que je ne passais pas par le village mais que je longeais le bois. Je fis comme si j’avais vraiment quelque chose à faire là bas. Alors tête haute , panier au bras, je dus rendre un certain nombre de saluts, bonjour Angélique, bonjour madame Bernard, bonjour la fille au Jacques. Mais bien entendu j’eus le droit à quelques gentilles réflexions, tient voilà la cocue, tient voilà la sœur du Sodome.

Chacun son interprétation, mais moi gaillarde et conquérante, du moins pour l’instant je répondais avec politesse à tous.

Bientôt les bois où je rentrais sous les couverts, pourquoi avoir choisi un endroit pareil ce n’était pas une grande forêt impénétrable et de plus le bois appartenait à un propriétaire et pas à la commune.

Tout le monde devait plus ou moins connaître les cachettes, moi même j’y avais joué étant petite.

Sur les indications d’Aimé j’arrivais enfin, un alignement m’apparut presque entièrement recouvert d’ajoncs, de jeunes arbres et d’un roncier presque impénétrable.

J’appelais doucement, puis un peu plus fort quand soudain rampant de dessous l’un des gros menhirs je le vis. Caché sous une excavation qui s’était formée sous la masse granitique. Il me fit peur, sale, puant, couvert d’une couche de poussière et de terre. Il avait les yeux hagards d’un animal traqué. Complètement affamé il semblait déjà amaigri et faible. Il se jeta dans mes bras me serra à m’étouffer. Il pleura, d’abord doucement comme un petit enfant, puis à chaudes larmes comme un amoureux qui a perdu l’être qu’il aime. L’eau de ses yeux formait des petits deltas sur ses joues crasseuses. On eut dit un romanichel grimé pour faire rire et faire peur, on eut dit un saltimbanque faisant un triste numéro sur le parvis d’une église.

Au bout d’un long moment il se calma. Je lui tendis un gros morceau de pain. Qu’il dévora avec un morceau de beurre et un vieux morceau de fromage que j’avais réussi à soustraire de la Gaborinière

Puis tranquillisé, apaisé, un peu repus il se raconta. Une longue et triste histoire qui remontait à ses premier émois d’homme. Il m’expliqua la répulsion qu’il éprouvait devant une femme , devant le corps d’une femme. Il m’avoua qu’avec Antoine il avait imaginé un stratagème pour me voir nue. La vision qu’il avait de moi le rebutait, le dégoûtait alors qu’elle mettait en joie son aîné. Il s’était dit que sa réaction était normale car j’étais sa sœur mais il vit d’autres demoiselles à la chair tendre et le résultat était le même. Par contre il s’aperçut qu’à la vue des jeunes domestiques qui se lavaient à grandes eaux dans la grange il éprouvait des sentiment bizarres qu’il qualifia d’amoureux. La douce évocation de ces corps naissants le mettait à même de jouir de ses premiers attouchements d’homme. Il me racontait son intimité, me disait tout, j’étais béate car je ne m’imaginais pas un tel dénouement. Ce n’était pas des pulsions sales et animales fruit d’une perversion, non ce n’était que des sentiment d’amoureux. Que la pensée et les envies profondes d’un homme qui n’aimait que les hommes. Il m’expliqua qu’il avait tenté de changer, de forcer sa nature qu’il avait courtisé une jeune journalière mais qui l’aventure s’était terminée dans la plus honteuse confusion lorsqu’elle avait voulu pousser l’amourette vers des jeux moins innocents.

Puis les larmes revinrent, ce déversement de confidences lui faisait rompre les derniers barrages. Dans un hoquet il m’avoua qu’il ne l’avait jamais fait, que jamais aucun homme n’avait pénétré son intimité et que lui n’avait jamais franchi cette limite. Non simplement il aimait un garçon et il avait été surpris avec un jeune forgeron de Talmont alors qu’ils ébauchaient le début d’un baiser. Oui maintenant il savait qu’irrévocablement il ne pourrait suivre la même ligne que ses ancêtres, qu’il resterait un paria. Il avait donc décidé de se rendre à La Rochelle pour, sur le port y trouver un embarquement quelconque. Il pensait qu’à l’abri d’une forte population il pourrait y vivre suivant son instinct. Je ne savais si il avait raison, moi je n’étais jamais allée dans un autre endroit qu’Avrillé . J’avais compris que j’allais le perdre et je lui demandais si je pouvais tenter une démarche ultime auprès de mon père. Il refusa et me demanda si je pouvais lui apporter de la nourriture pour le lendemain afin qu’il prenne la route au plus vite.

L’on convint d’un lieu de rendez vous.

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