En septembre même si les journées étaient encore longues on sentait déjà une inversion du cours des choses, la nuit regagnait doucement le perdu et nous sentions que le jour ne lui laissait sa place qu’à contre cœur. Le soir lors de ma méditation quotidienne, j’avais la perception étrange de ne plus ressentir la même chose. Bien sûr mon mari ronflait toujours à coté de moi, oui ma petite dormait du sommeil du juste dans son berceau d’osier et mon père dans le coin de mur opposé se retournait encore et encore. Le matin lorsque je me levais et que je sortais sur le pas de ma porte, je sentais bien que quelque chose avait changé. Les senteurs qui m’avaient régalée pendant tout l’été avaient disparu, faisant place à un autre jeu de subtilité. C’était comme un bouquet de fleurs qu’on aurait remplacé par un autre.
Figurez vous comme c’est idiot; même notre tas de fumier avait changé d’odeur, moins fort, moins dispendieux en fragrances. Puis pour la première fois depuis quelques semaines je ressentais l’humidité du sol, ce n’était encore rien, mais la rosée, douce pluie de la nuit modifiait maintenant la perception de mes sens.
J’entendis un vacarme derrière moi, Aimé juché sur une échelle m’observait goguenard. Je n’aimais pas qu’on me surprenne dans ces subtiles moments. Sublime temps de recueillement sur moi même qui ne supportait aucun trouble.
Je fonçais sur lui en colère pour le réprimander de sa seule présence. Mais en faisant ces quelques pas, ma passion exacerbée par la journée commençante remonta et j’étais prête à toutes les compromissions. Fondant sur lui puis le repoussant dans le gerbier, prise d’une ardeur animale je me jetais sur lui pour l’engloutir de mon amour. Ce fut bref, intense, passionné, ardent. Mais aussi dangereux à l’excès, terriblement dangereux ce qui d’ailleurs faisait redoubler notre excitation.
La brièveté de mon absence ne fut pas même remarquée, par contre mon air radieux plut à mon mari et je vis le moment où son enthousiasme me mènerait à devoir m’offrir. Cette offrande officielle me répugnait au plus haut point, ce mélange de semences me contrariait infiniment. Ma conscience une fois de plus se troublait.
Marie Jeanne vint me chercher pour aller à Poiroux pour que nous y vendions quelques volailles.
Je mis les bêtes destinées à la vente dans des grands paniers puis nous primes la route. Le chemin était assez long mais nous étions bonnes marcheuses. J’avais retiré mes sabots pour les économiser et je marchais donc pieds nus. Une habitude depuis l’enfance qui me permettait sans trop de peine de cheminer sur nos routes caillouteuses. On prit par le chemin de la Chapronière puis par la Menutière. Si au retour nous pouvions flâner, à l’allée nous devions nous presser car la concurrence était rude. Certes j’étais sûre de la qualité de ma marchandise, mais il m’était déjà arrivée de ne rien vendre. Je ne voulais pas m’attirer la vindicte de mon père. Il était intransigeant pour certaines choses et je ne tenais pas à l’avoir sur le dos toute la semaine. Le chemin ombragé par les hautes haies était facile à pratiquer , un damier de pâtis et de champs, il y en avait de toutes les couleurs, du vert au jaune se modifiant au gré des infimes changements de lumière. Il suffisait qu’un frêle nuage opacifie momentanément le ciel et l’alchimie des couleurs en était perceptiblement changée.
Nous n’étions plus deux sur le chemin mais une dizaine, nous nous connaissions toutes plus ou moins et les saluts répondaient aux saluts. De jeunes bergères ou vachères nous rendaient nos bonjours, l’humeur était gaie et notre jeunesse encore présente nous rendait encore pour quelques temps insouciantes.
Enfin arrivées l’on prit notre position habituelle, là aussi une vive concurrence . Beaucoup d’entre nous se prenaient querelle. La gaîté avait fait place à l’énervement et certaines en seraient venues à se crêper le chignon. Nous étions dans la grande rue près de l’église dont on voyait le porche. Il y avait un peu de monde, mais ce n’était pas la presse des grandes foires. Mes poulets furent achetés par une fille de peine du château de la Proutière, quand aux canards de Marie Jeanne une belle bourgeoise au teint blanc en fit l’acquisition. Nous étions contentes, rassurées et rassérénées par les quelques pièces que nous avions dans notre tablier. L’on put ainsi flâner et écouter les ragots. Presque au haut de la petite côte un groupe de femmes de notre connaissance devisait chaudement. L’animation était grande et l’excitation tangible. Lorsqu’elles nous virent immédiatement la conversation cessa . Une gêne s’installa, visiblement nous étions le sujet de la conversation. Je n’aimais pas cela du tout et je leur demandais de quoi elles parlaient. Les réponses furent confuses et ne me satisfirent pas, elles nous cachaient quelques choses. Lorsque nous les quittâmes j’entendis clairement des ricanements. Il nous fut impossible d’en savoir plus mais j’étais inquiète et le retour fut finalement moins joyeux que l’aller