A la maison allongée sur mon lit je réfléchissais, mon mari dormait à coté de moi j’entendais sa respiration, courte, saccadée. De sa bouche parfois s’échappait un petit ronflement, vous savez, pas celui de l’homme fatigué mais plutôt celui de l’homme repus ou aviné. En rentrant après avoir mangé un morceau, joué deux minutes avec ma sœur, il s’était couché sans rien me dire, sans même un sourire, ni un regard.
Oui j’avais eu confirmation de sa traîtrise, qui faisait pendant à la mienne. Je les avais vus les deux ignobles. Je l’avais entendu couiner, cette femelle aux jambes blanches.
Pantalon et jupon mêlés, cette copulation m’avait dégoûtée et je m’étais enfuie. J’avais couru tout le long du chemin, mes sabots à la main. A mon passage, des connaissances disaient mais Angélique tu as vu le diable, tu as vu un revenant. J’arrivais à la Gaborinière, dégoûtante, dégoulinante de sueur, le bonnet défait, les cheveux hirsutes.
Ma petite sœur se précipita sur moi craignant un malheur.
Je m’étais reprise, une femme doit toujours se reprendre et comme si de rien n’était je m’étais occupée de mon foyer.
Stanislas en rentrant me donna l’impression qu’il savait que je les avais vus, il n’en dit mot et fit comme si je n’existais pas.
Alors moi j’étais là, je ne pouvais fermer l’œil, que faire, que dire. Il lutinait la femme de peine du château et moi je faisais l’amour avec le valet de ferme de mon père. La faute était-elle semblable, les besoins de l’homme étaient-ils les mêmes que les notres. D’après les autres femmes, ils étaient supérieurs, mais pourquoi?
D’ailleurs si j’avais bien compris ce qu’on m’avait inculquer, la femme se devait de ne pas avoir d’envies. Si toutefois elle en avait, il devait coïncider avec ceux de son mari.
Pour tout simplifier maintenant je n’avais plus mes règles que devais- je faire mon dieu aidez moi.
Le lendemain nous repartîmes aux patates, ce n’est pas que j’aimais beaucoup en manger mais assurément avec nous ne crevions plus de faim. Le champs où nous devions faire la récolte était assez éloigné de la métairie, plutôt que d’utiliser le mot champs je devrais dire les champs car nous avions plusieurs parcelles. Mais à tout bien réfléchir, dire que c’était des champs était bien une vantardise. Ce n’était que des minces langues de terre, un damier inextricable appartenant à un grand nombre de propriétaires. Assurément nous aurions fini notre labeur assez tôt. Il y avait foule autour de nous , on eut dit un pèlerinage. La procession de la pomme de terre, c’était à croire que nous avions tous planté nos tubercules au même endroit. Chacun pour sûr s’étaient donnés le mot.
En toutes comparaisons le ramassage des patates était moins dur que la fenaison et les moissons, mais il ne s’en dégageait pas le même air de fête et les assemblées de ramasseurs étaient beaucoup moins gaies que les groupes de moissonneurs.
Pendant la journée on me demanda d’amener deux paniers à l’office de la Guignardière. Je refusais mais mon père m’en intima l’ordre.
Comme à chaque fois j’étais bien intimidée, j’entrais dans un monde qui me côtoyait mais n’était pas le mien.
La cuisinière me fit entrer dans la grande cuisine. Mon Dieu quelle différence avec la mienne.
Le sol était carrelé de tommettes rouges grenat, lustrées, astiquées l’on pouvait se voir dedans. Au mur une batterie de casseroles en cuivre, de toutes les tailles, petites, grandes, moyennes, rien de comparable avec le cul noirci de mon antique poêlon.
A la poutre suspenduS deux magnifiques canards qui n’attendaient plus qu’une ultime éviscération. Partout l’opulence, une corbeille de fruits, débordante de saveurs béait sur la table comme une corne d’abondance. Sur un haut buffet une miche de pain blanc énorme, cuite que c’en était une merveille à la croûte dorée envoûtante et à la mie d’une blancheur de drap fraîchement lavé.
Sur la grande table de chêne cirée attendait les légumes qui rejoindraient dans la marmite les pommes de Parmentier que je venais d’emmener.
Marie Guériteau la cuisinière me fit asseoir et en dédommagement de ma peine m’offrit un grand verre d’eau fraîche.
Le moment aurait pu être magique si en face de moi ne se fut pas trouver la face crayeuse de la Céleste. Elle était là bonasse, faisant semblant de s’activer mais en fait feignantant. Elle savait bien sûr qui j’étais et me toisait de son air fat et niais. Nos yeux luttèrent un moment, mais à ce jeux ma haine était plus forte que sa vaine provocation. Elle baissa enfin son regard et à ce moment je n’étais que violence.
Je me voyais griffer ses joues flasques, je m’imaginais lui arracher ses cheveux filasses. Je sentais la redondance de son gros cul pendant que je la fessais devant l’église. Je l’humiliais en la faisant se promener nue sur un âne devant le village hilare. J’ haïssais cette sotte, cette voleuse d’homme. J’en pleurais de rage que mon mari ne me trompe avec un tel laideron. Je pensais que ma peine serait moins grande si ce Don Juan des champs de patates avait séduit une beauté. J’étais vexée qu’il me préfère cette souillon.
Marie avait à faire et me sortit de mes terribles pensées. Je ne fis rien, je ne dis rien et je repris le chemin de ma maison