Pourtant chaque paysan prépare ses futailles, mon père les a nettoyées à grandes eaux. C’est d’ailleurs le jour où il a effectué cette tâche que le père Murail a fait son apparition, pour entamer les négociations.
Pour un peu on l’aurait oublié celui là, mais la rondeur du ventre de sa fille devait sans cesse lui rappeler que son polichinelle ne lui était pas apparu après l’annonce de l’ange Gabriel.
Mon père le fit entrer, et me demanda de leurs verser à boire. Pour l’instant une simple piquette ferait l’affaire, on verrait pour du meilleur par la suite.
Surtout ne pas dévoiler sa richesse ou sa pauvreté tout de suite. Les rusés étaient plus ou moins roublards.
Moi je me fis oublier dans un coin, je devais rester muette, je n’étais qu’un meuble qui devait s’animer juste pour resservir les négociateurs.
La diplomatie à l’échelle du ventre d’une femme commença, sordide, odieuse. Mon père poussa Murail en ses derniers retranchements. Pouvait-on être sûr que le cadeau serait bien d’Antoine. Après tout une fille, quand elle commençait à écarter les cuisses pouvait bien ne plus se contenir et être accueillante à grand nombre. La rouerie devait être menée assez loin, pousser le père Murail dans un ultime recoin, le faire mettre en colère, le faire se lever et presque rompre.
Le père de Marie Rose se leva de fait plusieurs fois, mon père le retint, je lui resservais à boire. Ils se répétèrent la même chose un bon nombre de fois.
Il faudrait se voir et revoir encore mais mon père se frottait les mains, il pensait obtenir la belle pour pas grand chose. Après tout une grossesse dévalorisait la marchandise, il y aurait toujours un doute. Le père Murail le savait bien, un fruit déjà goûté n’avait plus la même cote ni la même valeur marchande. Si Antoine ne la mariait pas elle resterait avec son bâtard comme si elle avait une marque fleurdelisée au fer rouge sur le front.
Un maquignon à la foire n’aurait pas fait mieux, le père rangea les tonneaux en sifflotant avec Aimé.
Quelques jours après je faillis me faire prendre en mauvaise posture par Stanislas, en effet j’avais persuadé le gamin de me rejoindre tôt le matin quand personne n’était réveillé et que je sortais de la maison pour faire ce que vous savez. Ce n’était pas très malin et en plus ce n’était pas le moment de la journée que je préférais.
Bref le galant était au rendez vous et précipitamment me coinça le long du mur de l’enclos à cochons. Décidément les hommes en ces choses apprenaient vite. Nous n’eûmes le temps de rien , pas même un baiser. Mon mari apparut , heureusement après m’avoir hélé du pas de la porte. Je fis mine d’aller à l’étable voir une vache pleine qu’on avait mis à l’écart. Le Stanislas flaira la bonne affaire et il en fut de son plaisir. Moi j’ai fermé les yeux et je me suis mise à sentir mon amant.
Comme l’avait prévu mon père, il revint, mon frère ne fut toujours pas autorisé à participer aux négociations. Il avait soudoyé ma petite sœur pour que cette dernière en toute innocence lui répète la conversation. Mon Dieu quel idiot comme si une enfant de quatre ans pouvait saisir la teneur d’une conversation aussi sérieuse.
Le père comme tout bon métayer voulait simplement augmenter son cheptel humain pour prendre à bail une métairie plus grande. Ce qu’il voulait lui en bon gestionnaire c’était de prendre une belle fille qui s’installerait avec son fils chez lui, complétant le couple que je formais avec Stanislas.
La petite Marie Rose deviendrait ainsi la servante du fils comme du père. Une pièce rapportée pour les travaux de la maison et des champs. Une domestique sans gage et une femme au ventre qui serait gratuit, fécond et disponible.
La seule interrogation pour moi, était mon avenir et celui de Stanislas. Mon père malgré le bon travail qu’il effectuait ne l’aimait pas. Il n’est qu à voir sa réaction, lorsque le maire pour le recensement demanda la composition de la maisonnée. Il le déclara comme domestique. Mon mari heureusement ne le sut jamais car il n’aurait pas manqué de laisser éclater son mécontentement.
Donc je prêtais une oreille attentive. Ce fut le même rituel mais le père sortit une vieille bouteille, une merveille comme il disait.
Murail avait-il abandonné la partie ou bien restait-il des pierres d’achoppement?
Car voyez vous lui aussi espérait voir sa fille s’installer avec un gendre chez lui . Évidemment il avait les mêmes raisons que mon père.
Antoine se morfondait mais croyez moi dès qu’il le pouvait s’en allait retrouver sa belle et il m’est d’évidence qu’il n’effeuillait pas que les marguerites, le mal était fait alors vraiment pourquoi se priver.
Mon père le savait et certainement aussi le père de Marie Rose, mais il;n’était pas là question de moralité, une femme est faite pour être prise, mais plutôt une question de convenance.
Toutes les turpitudes, toutes les envies animales, toutes les déviances, se devaient d’être tues. Le masque de la conventionnalité cachait les faits existants et faisait rentrer en chacun ses sentiments profonds.
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