Puis je l’ai revu, enfin je veux dire je l’ai revu charnellement, car pour ce qui est de le voir malheureusement je l’avais sous les yeux tous les jours.
Avant que ne commence les vendanges , il y avait toujours ces foutues battages, cela n’en finissait pas. Je les voyais tourner sur l’aire et vlan et vlan les muscles saillant mes bonhommes faisaient jaillirent leur force. Je ne sais pas ce qui me prenait mais cela m’envoûtait, j’étais sur le pas de la porte à les lorgner sans cesse. Comme une chatte en chaleur se tortillant, se cabrant, se frottant je recherchais le contact. La décence ne me permettait d’approcher cette mâle compagnie que lorsque je leur apportais à boire ou à manger. Autrement ces orgueilleux m’aurait considérée comme les provocant. Moi je me morfondais en mon envie, mon mari ne faisait pas parti du groupe et de toutes façons se n’est pas lui qui avait ma préférence.
Hors donc, je ne sais si mon attitude et mon comportement portaient des stigmates provocateurs, mais Aimé s’aperçut de mon appel.
Il ne lui était guère facile de s’absenter de la ronde des fléaux et moi je ne pouvais guère m’éloigner de ma maison de ma petite sœur et de ma fille.
Nous vivions en communauté et il était par là fort difficile d’avoir des secrets. La moindre entorse à une habitude pouvait paraître suspect. Vous aviez l’habitude de vous rendre au bourg par un chemin , si vous en déviez il se trouvait quelqu’un pour dire tient Angélique passe par un autre endroit.
Si vous ameniez le repas à vos hommes, tout le monde savait qu’ils étaient sur une pièce bien déterminée, alors vous imaginiez les réflexions si l’on vous voyait à un autre endroit.
En général les sorties de la femme en dehors du cercle de la métairie étaient l’église, et le lavoir.
La buée ne se faisant que très rarement, il restait la messe. C’est pour cela qu’inconsciemment je considérais le dimanche ou les fêtes religieuses comme des moments de grands bonheurs.
Tout cela pour dire que j’avais une impétueuse envie de mon valet et que je ne savais comment faire pour trouver un isolement suffisamment long pour l’aimer quelque peu.
Je vous livre mes impressions comme elles viennent, j’avais le feu aux jupons.
Un jour, j’ai eu enfin une opportunité, nous avions une chènevière où nous faisions pousser des pieds de chanvre. Juste une bien petite parcelle, de rien, mais qui nous apportait un petit complément et nous fournissait un peu de matière à tisser.
Mon père avait décidé que c’était le moment de la récolte, la cime des pieds était bien jaune et les pieds bien blancs. C’était là presque exclusivement le travail des femmes, Louise Caillaud et Marie Jeanne Delhoumeau vinrent me rejoindre. Nous devions arracher les pieds mâles et en faire des sortes de bottes que nous mettions sur le bord de la chènevière.
Ensuite le soleil séchait feuilles et fleurs. On prenait alors les poignées et on les battait le long d’un arbre pour en faire tomber les fleurs et les feuilles séchées.
Puis on emmenait le tout au routoir pour faire rouir les tiges.
Donc l’endroit ou l’on menait les bottes était un peu éloigné du lieu de récolte, et avec une grande brouette je devais les y emmener.
Un jour convenu, Aimé était sur mon chemin, je n’avais pas des heures devant moi ni lui non plus.
Un faible bosquet nous servit d’écrin, aucune parole, aucune tendresse, le temps nous manquait pour des subtilités
Dès que nous eûmes fini de nous rajuster la honte me prit et en repartant avec ma brouette les jambes flageolantes je me promettais de ne plus recommencer.
Tu as été bien longue me dit Marie Jeanne. Louise, elle ne me dit rien sur le moment mais seule avec moi finit par me dire: Angélique tu as l’air de quelqu’un qui vient d’être pris en faute. Je balbutiais des paroles sans importance mais j’eus l’impression que la finette m’avait devinée.
Le lendemain Aimé vint nous aider à mettre le chanvre dans le routoir, c’était un espèce de trou d’eau alimenté par le ruisseau, on y plaçait savamment les bottes que l’on recouvrait de paille puis de morceaux de bois et des pierres.
J’avais le valet sous les yeux en permanence, quel enfer, la tentation était forte de le pousser, de le toucher de le déshabiller.
Mon visage s’empourpra, j’étais démasquée par ma meilleure amie, mais aussi par la pire pipelette du canton. Je le savais qu’elle répétait tout, car j’en bénéficiais de ses ragots. Sa seule concession était de dire tu ne le répéteras pas. Vous vous doutez qu’avec de telles recommandations ce qui n’était que léger murmure devenait à force un véritable cri.
Devais je donc lui avouer mon amour, mon acte? Finalement je lui répondis par une grossièreté sur le sexe du jeune domestique, elle s’en contenta et l’on en rigola toute la journée.
Pour en finir je ne pus m’éloigner de nouveau et le chanvre resta dans sa mare pour que sa filasse se détache de la chènevotte.