En cette fin août il n’y avait pas que les battages à effectuer , loin s’en faut. Mon père en bon vendéen qui se respecte commençait sérieusement à se préoccuper de ses futures vendanges. Tous les jours il se rendait dans sa maigre parcelle. Elle était pour lui, je vous l’ai déjà dit, comme les reins d’une femme, il en aimait les senteurs et les courbes. Ces quelques ceps dispersés sur un vallon ensoleillé lui procurait une joie immense. Sa belle récolte de blé ne trouverait pas grâce face à ces quelques hectolitres de vin blanc. Pour établir une comparaison, sa vigne était son amante, alors que ses champs de blé étaient son épouse légitime.
Partant de bon matin voulant se trouver là avant que ne tombe la rosée, il admirait ses plantations vineuses et disparates. Il aimait en contemplatif y venir seul, les autres ne comprenaient pas son amour pour ce bois tortueux. Antoine se moquait en disant le vieux il est toqué, il faut qu’on lui trouve une veuve.
En attendant il coupait les feuilles avec son sécateur d’un geste expert et sûr pour que les belles grosses grappes de raisins soient exposées au soleil de façon parfaite. Il n’aurait pas dégagé ses grains avec plus de délicatesse qu’il aurait dégrafé un corsage pour en faire surgir d’autres fruits.
C’est le seul endroit où il tolérait sa fille, allez savoir pourquoi d’ailleurs. Là bas elle jouait les petites patronnes, picorait les raisins comme elle voulait et vivait une journée sans interdit . Ce jour là s’étant gavée de raisins vert elle souffrit d’une forte diarrhée. Le résultat en fut que je lui mis une paire de gifles lorsqu’elle revint souillée de la cour .
Augustin me battait froid et ce n’était pas le seul de mes problèmes. Un matin lors de la traite je vis arriver Aimé, il ne savait quoi me dire mais j’ai bien senti de quoi il avait envie. Que croyait-il, que j’allais cesser de traire, soulever ma robe et le laisser se repaître au milieu du pré. Ces hommes étaient impayables, pour les coups brusqués, précipités j’avais déjà mon légitime. J’attendais de mon amant plus de , oui plus de quoi d’ailleurs. Je le renvoyais mais je sentais que ce jeune sot aurait besoin que je lâche un peu de leste car sinon il était capable de faire une sottise.
J’étais maintenant résolue à parler de mes affaires au curé , sans pour autant dénoncer mon frère j’avais besoin de son avis.
Je vous garantis que je n’en menais pas large dans la petite boite grillagée, je bégayais, balbutiais et maintes fois je faillis gaffer en prononçant son nom. Le curé Gauthier compris à demi mot que j’avais vu deux hommes s’embrasser et que je les connaissais. Un long moment je crois il réfléchit et dans un songe je l’entendis me dire,il faut que tu me donnes leurs noms. Il y a là pécher mortel et nous nous devons d’en empêcher la commission.
Allez mentir devant notre défenseur des consciences, plus je me défendais, plus il insistait. Je faillis me sauver à toutes jambes mais d’un mot il m’en empêchait, la lutte fut compliquée mais enfin il abandonna en me gratifiant d’un nombre de pater impressionnant. J’avais bien fait d’y aller avant les vêpres, il était pressé. Mais je savais qu’il aborderait le sujet et qu’il enquêterait dans tout le bourg. J’avais semé une graine qui ne donnerait pas un bon fruit et je n’avais en plus pas soulagé mon âme.
A la messe du dimanche je compris que le curé lançait une longue perche en nous parlant des troubles rapports interdits par la foi. Tous ne comprirent pas, mais j’entendis madame de Luce courroucée dire à son mari, mais pourquoi nous parle t-il d’une telle abomination.
Augustin lui était dans une fureur extrême et au détour de la barrière qui mène au pré il me coinça et me cria sa haine. Je vais tout dire à Stanislas, je vais faire chasser le valet et moi je vais m’en aller à la Rochelle pour y trouver un embarquement. Oui c’était sûrement une bonne idée, fuir et me briser la vie. J’eus beau lui dire que personne ne le savait que j’avais tenu ma langue, il ne voulut rien savoir. Le drame planait au dessus de la Gaborinière, je me voyais chassée, condamnée, portant dans mes bras ma petite Marie. Je me voyais mendier, me prostituer pour la nourrir, les larmes me vinrent. Il ne me resta qu’à attendre, mais rien ne vint. Mon père et mon mari ne se rendirent compte de rien quand à Antoine lui ne pensait qu’à son futur avec Marie Rose. D’ailleurs à ce propos le père Murail n’avait toujours pas pointé son nez pour régler les détails. Mon père disait , il va bien venir, c’est sa fille qu’est pleine pas la mienne. C’était une façon de voir et je ne crois pas que mon frère l’eut partagée.
Pour tout dire le ciel était clair mais ma tête était enveloppée de nuages gris et menaçant. Les vendanges allaient peut être m’apporter un peu de joie.
En attendant que les raisins ne mûrissent, nous devions nous atteler à la récolte de pommes de terre, là aussi les femmes étaient requises.
Papa en avait planté un joli champs, enfin pour être précis notre maître lui en avait imposé la plantation. La récolte se faisait au crochet, l’un des hommes se plaçait à gauche du sillon où se trouvait les tubercules. Avec sa houe il enlevait une touffe et la déposait dans son sillon, enlevait les patates, puis retournait soulever la motte pour voir si rien n’y traînait. Puis il passait à la touffe suivante et ainsi de sillon en sillon. Le travail des femmes et des enfants étaient de ramasser la récolte . Au début les paniers étaient légers puis se faisaient de plus en plus lourds au fur et à mesure que la journée passait. Le premier jour j’étais dans un sale état, le dos cassé comme une vieille et vermoulue comme une antique armoire.
La nuit venait maintenant plus tôt, normalement j’aurais pu bénéficier d’un peu de sommeil en plus mais je n’étais pas sereine et j’avais du mal à m’endormir.