Vous vous doutez que ces moissons me laissèrent un goût particulièrement sirupeux, la récolte avait été bonne mais ce n’est pas de cela que je parle.
Commencer une liaison était somme toute très facile. Se laisser aller à un coup de folie l’était finalement tout autant. Non ce qui était le plus dur c’était de terminer l’aventure.
Lorsque je m’étais éloignée avec Stanislas et qu’il m’avait possédée je m’étais dit, je suis à lui et je le resterais. Poursuivant mon raisonnement je me disais aussi que mon petit valet n’était rien.
Mais le lendemain lorsqu’il est entré dans la maison prendre les ordres de mon père et aussi se mettre à table avec nous j’ai eu comme la prémonition que la rupture ne serait pas facile. Il fut de marbre et respectueux comme de coutume.
Mon père l’envoya avec Antoine pour déchaumer le premier champs que nous avions moissonné, afin que les mauvaises graines qui étaient à l’abri des blés ne germent pas. Je ne l’aurais donc pas dans mon champs visuel pendant quelques jours.
Nous attendions la visite de la famille Murail et mon père impatient voulait, ne les voyant pas venir se rendre à Talmont, car la diablesse devait bien avoir le ventre qui grossissait.
Le battage des grains allait s’échelonner sur de longs mois. Mon père décida toutefois de commencer immédiatement. Notre réserve de grains était presque épuisée et nous en avions besoin pour amener au moulin. Je vous le rappelle la plus grande part de notre production servait pour notre consommation personnel et comme nous n’avions pas de four à la Gaborinière on apportait notre farine au boulanger.
Mon père et Stanislas disposèrent les gerbes sur l’aire de battage, ils faisaient cela à la main. Comme un seul homme ils crachèrent dans leurs mains et d’un mouvement qui se faisait de plus en plus sûr ils abattaient leur fléau sur les gerbes. Je les observais, ils étaient beaux à voir. Leurs muscles jaillissaient de leur chemise de lin, les veines de leurs avant bras gonflées par l’effort dessinaient comme un delta. La chaleur était déjà abrutissante, le sueur dégoulinait sur leur visage. Mon père commençait à avoir des ridules qui se formaient, le tout comme amplifié par une barbe non faite qui se teintait de couleur neigeuse. Mon mari n’était pas non plus passé chez le barbier, la poussière de blé qui se collait à sa barbe ne rendait pas le plus bel effet. Il ressemblait à un épouvantail, un homme des chemins.
Pour un tel labeur en plein soleil il convenait de boire régulièrement. Ma petite sœur Thérèse était chargée d’alimenter en eau fraîche les deux hommes.
Malgré la dureté de leurs main caleuses, ce mouvement nouveau pouvait occasionner des espèces d’échauffements qui formaient des cloques.
Mon père bizarrement pour faire taire les échauffement se pissait dans les mains. Je ne sais si cela était efficace, bon Dieu quel dégoûtant, mais cela faisait éclater de rire ma petite sœur. Comment voulez vous qu’elle ait un semblant d’éducation.
Le synchronisme entre les deux hommes était parfait, jamais leurs deux fléaux ne se choquaient ou ne s’entremêlaient. C’était un art de battre et mon père le maîtrisait comme un tailleur de pierre maîtrise son ciseau ou qu’un architecte son compas.
Ils avaient choisi d’effectuer un mouvement circulaire autour des gerbes. Mon père avait d’un œil sûr évalué la quantité qu’il lui faudrait pour remplir quelques sacs.
Lorsqu’ils avaient battu un moment, ils prenaient un grand râteau et écartaient la paille. Soigneusement comme on caresse une femme il éliminait tous résidus dans les grains. Mon père se penchait le prenait à pleine main puis le laissait filer entre ses doigts. C’était de l’or pour lui, le plus grand des trésors. Vous lui auriez donné les plus belles toiles de soie, les plus beaux bijoux ou le met le plus raffiné qu’il aurait gardé ses grains.
Le fléau se composait d’une masse de travail en bois qui mesurait environ un mètre, il était relié à un manche d’une taille d’environ un mètre cinquante. Celui de mon père, dont il avait hérité du sien, avait les deux parties reliées par des nerfs de bœuf. Celui de mon mari l’était par une sangle de cuir.
Le grain de blé par le battage s’était séparé de son épi mais aussi de son enveloppe qu’on appelait la balle. Bien sûr cette enveloppe n’était point requise pour la farine et finissait sous les becs des poules.
Après avoir récupéré les grains de blé il fallait donc les séparer de cette balle. Mon père et mon mari dotés d’un panier appelé van le firent avec un coup de main consommé.
Ce panier était fait en osier, très large et plat, mais plus évasé d’un coté que de l’autre. On projetait le blé en l’air et les parties les plus légères comme la paille et la balle s’envolaient et tombaient au sol. Il fallait bien sûr se mettre dans le bons sens du vent, plus d’un idiot c’était fait avoir.
Ensuite mon père mettait les grains dans un sac, ils étaient prêts. N’allez pas croire que le travail s’arrêtait là, la paille devait encore être mise en bottes.
Avant que de commencer cela je leur apportais leur repas, c’était champêtre que de manger un bout sur le pouce sur l’aire de battage. Ce fut même la première fois que Stanislas prit sa fille dans ses bras. Bon il était un peu balourd mais s’était attendrissant.
On pouvait mesurer si un ouvrier était bon en le regardant lier des gerbes de paille, le Stanislas il allait rudement vite et le père que le battage avait un secoué, traînait un peu en quantité.