UNE ANNÉE DE LA VIE D’UNE FEMME, SEMAINE 30, la fin des moissons

 

Jacques Caillaud était abattu par la mort de son bœuf, mon père était abattu par la forfaiture de son fil et Antoine était abattu parce qu’il avait interdiction de voir Marie Rose, vous parlez d’une ambiance de moissons.

Il ne manquait plus qu’un orage pour avoir une vision encore plus catastrophique. Il eut bien lieu alors que les hommes en avaient presque fini, ce fut terrible, d’une violence extrême, tous se mirent à l’abri comme ils purent, mais les flots venus du ciel engloutirent ce qui restait à faire. Une immense faux s’était abattue, les dégâts étaient considérables. A certains endroit nous pataugions dans une espèce de boue infâme inadéquate pour un mois de juillet. Jacques était consterné,maintenant c’en était fait de lui, jamais avec ce manque il ne pourrait faire la jointure.

Pour aujourd’hui le travail était terminé, le temps devait se ressuyer. Au bout de deux heures, exceptés les blés couchés il ne restait aucune trace de l’orage, la terre avait avalé toute l’eau, les oiseaux de nouveau sereins, s’ébattaient en de folles envolées.

A la Gaborinière, rien n’était tombé, pas une goutte. La mare qui pourtant les autres années ne baissait guère de niveau, commençait maintenant son lent recul. Sur le bord là où plongeaient les arbres, l’on pouvait apercevoir les enchevêtrements de racines et les départ de terriers pour quelques gros rats.

Nous devions bien sûr organiser Louise et moi le repas pour la fin des moissons, je me demandais si les Caillaud voudraient le faire malgré leurs ennuis.

Louise fut catégorique et pour une fois sa belle mère fut d’accord, il était hors de question d’annuler cette fête. Au contraire pour conjurer le sort il fallait qu’elle soit plus belle que les autres années.

Finalement en voyant les gerbes de blés s’accumuler dans sa métairie, Jacques Caillaud fut satisfait.

Le rendement important de cette année avait compensé les quelques incidents. Mon père lui dansait de joie, la meilleure récolte de toute sa vie disait -il. Je souriais car tous les ans il disait la même chose.

Il y eut aussi une autre bonne nouvelle, elle ne nous concernait pas, mais peut être un peu quand même. L’un des domestiques des Caillaud nous apprit que la Céleste, elle avait été jetée dehors du château avec pour seul pécule le chiard qu’elle avait dans le ventre.

Il l’avait vu passer avec son misérable baluchon. Pour sûr si sa famille ne la recueillerait pas, elle allait finir très mal. Malgré la haine ou la jalousie que je lui portais je ne trouvais pas cela très juste.

L’homme était après tout coupable aussi, mais dans notre campagne tous les torts reposaient sur la tête de la pauvre fille.

Mon mari resta de bois comme si il ne l’avait jamais connue. Il était aussi convainquant que les comédiens ambulants qui passaient au village dans leurs roulottes. Son impassibilité me donnait des lueurs d’espoir sur sa fidélité. Enfin je m’illusionnais, le Stanislas avait goutté de la Victoire et aussi de la Céleste. La question en suspend était plutôt de savoir si ce foutu maladroit l’avait mise enceinte.

D’ailleurs dans les discussions entre les habitants d’Avrillé , plusieurs galants apparaissaient. Les supputations allaient bon train, une journalière certifiait avoir vu le régisseur la culotte en bas des jambes avec la Céleste. Un berger voyait même Monsieur comme le père. Car précisait -il la châtelaine avait souvent ses humeurs et ne contentait pas souvent Monsieur. Cela nous faisait un peu rire d’imaginer ces messieurs avec leur jabot de dentelle besogner la souillon de la cuisine.

Bon tout était prétexte à rire sur le dos de cette pauvre fille, c’était un exutoire à la dureté, il ne fallait en somme pas y voir du mal.

D’ailleurs comme vous savez, on était assez mal placés avec notre Antoine et sa Marie Rose, rien n’avait encore percé car la bougresse était cloîtrée à Saint Hilaire de Talmont.

Mais mon père voulait se rassurer en disant que ce n’était pas pareil, car le père était connu. Oui évidemment, mais moi je crois que la petite Céleste, et bien le père elle le connaît aussi.

Les hommes en étaient sûrs encore deux jours et la messe serait dite, l’année 1836 serait bonne . Les deux métayers eurent la visite de monsieur Juchereau et du régisseur monsieur Hiss, les deux voulaient voir, vérifier que les deux compères ne les grugent pas sur la quantité.

Ce n’était pas le genre de la maison, Jacques et mon père en bons paysans respectueux n’auraient pas osé tricher sur les quantités. Certains le faisaient et Stanislas lui en fanfaronnant disait que si il était métayer un jour , il ne s’en priverait pas.

Les deux acceptèrent même de boire un verre de vin dans le chai de Caillaud, infime honneur pour un vendéen que de recevoir son maitre et lui offrir son bien le plus sacré. Mon père en était vert de rage.

Il restait le champs le plus lointain à faucher. Mon père, Stanislas et mes frères décidèrent de dormir à la Vélisière pour être à l’œuvre plus tôt le lendemain. Moi je les soupçonnais d’avoir à continuer la dégustation.

Je serai donc seule avec ma fille et ma petite sœur.

 

 

 

 

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