UNE ANNÉE DE LA VIE D’UNE FEMME, SEMAINE 30, le ventre de Marie Rose

 

Le soir en général on voyait peu mon frère, il mangeait avec nous et encore pas toujours puis il s’en allait battre la campagne. Bien sûr avec la longueur des journées que nous effectuions, il ressortait moins.

Mais sans que je sache exactement pourquoi, ces derniers jours il traînait dans mes jambes. Il ne m’aimait pas assez pour savourer ma présence et jouir de ma conversation.

Nous ne nous étions jamais trop aimés, quand il était petit et que j’avais encore une supériorité physique sur lui je lui collais des peignées. Nous étions sans arrêt à nous chercher et à nous trouver.

Antoine était malin et son jeu était de me faire punir, le malin y réussissait à tous les coups. Alors en répression j’employais les grands moyens, gifles, griffes et autres méchancetés. Mais il devint plus fourbe, plus fort et je n’avais plus le dessus. Jusqu’à mon mariage je passais de durs moments avec lui, j’étais la seule fille, ma belle mère ne comptait pas car c’était une femme. Bref nous nous détestions d’une véritable haine, mais qu’avait-il à se traîner comme une cagouille sur une feuille de choux?

Je n’allais évidemment pas au devant et j’attendais avec curiosité la suite. Elle vint assez rapidement  .Un soir alors que je flânais un peu à l’ombre du figuier, il vint s’asseoir à coté de moi, le silence se fit et le grand bêta n’osait pas parler. Il tritura son chapeau un long moment, le retourna, le mit sur sa tête, le retira. J’allais partir lorsqu’il me dit tout d’un coup la Marie Rose elle est pleine.

Le Saint Esprit me serait tombé dessus que cela aurait été pareil. Je lui fis répéter l’information, Marie Rose elle est pleine, Marie Rose elle est pleine. Mon Dieu je faillis bien me pisser dessus de bonheur. Non pas bien entendu d’avoir un neveu ou une nièce, non cela je m’en foutais complètement, mais plutôt de voir cet arrogant, cet être sans scrupule, froid comme un lézard se débattre dans une merde noire. Je ne sais pourquoi il me prit pour confidente et ce que je devais faire de ce qu’il m’avait dit. Je ne sus que lui demander ce qu’il comptait faire.

Je jubilais intérieurement de savoir cette oie blanche enceinte jusqu’au cou, elle ne m’avait rien fait grand Dieu, mais ma haine pour mon frère rejaillissait sur elle.

Il finit par me dire qu’ils attendaient la fin des moisons pour dévoiler qu’ils avaient fait Pâques avant les Rameaux.

Moi en attendant je ne me tenais plus, ce frère idolâtré par tous allait à n’en pas douter tomber de son piédestal. Mon cocufiage se retrouverait en seconde position et on parlerait plus de la Murail que de moi.

Ce n’était pas très chrétien j’en conviens, mais on a tous nos défauts.

Puis l’orage arriva, pas celui qui couche les blés, non pas celui qui fait gonfler les rivières et sort les eaux de leur lit. Nous étions au champs et suions toutes les eaux de notre corps tant il faisait chaud quand au loin nous vîmes un espèce d’épouvantail vociférant. Mon père tout d’abord plaisanta en disant qu’un gars avait abusé de la sainte boisson sous le soleil et que cela lui était monté à la tête.

Mais pas de doute le fou venait sur nous et mon frère Antoine qui deux minutes avant était rouge comme une pomme était devenu blanc comme un suaire. On eut dit que tout son sang s’était retiré, comme caché dans un coin reculé de son corps.

J’ai rapidement deviné qui était le bonhomme, il n’était point saoul, point ivre de vin mais simplement ivre de colère.

Antoine avait aussi reconnu l’homme qui jetait sur nous sa hargne, c’était évidemment le père de Marie Rose. Ce dernier ne connaissait pas Antoine mais connaissait mon père ainsi que Jacques Caillaud.

  • Tu viens faire quoi ici le Pierre Murail
  • C’est bien loin de Talmont
  • Je viens demander réparation
  • Réparer quoi?
  • Je viens demander au salopard qui a pris ma fille de réparer.

Mon père ne s’attendait guère à cela et posa sa faux.

  • C’est pas possible
  • Oh que si puisque je te le dis, ma fille me l’a avoué après une bonne volée.
  • Lequel dis moi j’en ai deux des fils.
  • Le plus vieux pardi l’autre ça risque pas.
  • Antoine c’est vrai ce qu’il dit, tu la fréquentes sa drôlesse.
  • Oui père
  • Et vous avez
  • Oui
  • Bon dieu de bon à rien tu pouvais pas faire attention.
  • Et comment que je peux être sûr qu’elle ne va pas voir ailleurs.
  • Non de Dieu Jacques tu insinues que ma fille sera une couche toi là , tu vas trop loin cela va finir en justice.

Les deux hommes commençaient à monter sur leurs grands chevaux, si nous n’intervenions pas ils allaient se mettre à la bagarre.

Antoine prit son courage à deux mains et dit aux deux hommes

  • nous allions vous le dire, nous nous aimons et j’va la marier.
  • La marier si on est d’accord bougre d’imbécile.

On pouvait dire que finalement cela c’était bien passé , les deux pères convinrent de se revoir après les moissons et qu’en attendant les deux tourtereaux ne se verraient plus pour ne pas attirer l’attention. Je trouvais que c’était un bon début mais je présentais aussi que les choses pouvaient mal tourner. Autant vous dire qu’Antoine se décala d’un rang pour ne pas être près de son père.

Ce dernier devint muet comme une carpe, la honte venait de le frapper même si au fond de lui même il préférait que ce ne fut pas sa fille que se soit retrouvée pleine. C’était quand même un monde toutes ses gueuses qui attiraient les mâles comme le nectar attire les abeilles.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s