Nous n’avions pas des centaines d’hectares mais les terres de mon père et celles de Jacques Caillaud nous donnaient ma foi suffisamment de labeur. Mon père avait connu le travail à la faucille et avait eu un peu de mal à l’abandonner. Mais il avait fini par reconnaître que la faux était un progrès et que nous allions plus vite avec. Comme les autres années la moisson se poursuivrait sur le mois d’août.
A ce rythme j’avais l’impression que nous ne tiendrions jamais. Je me levais que j’étais déjà fatiguée. Si les hommes au début se tenaient au garde à vous dès potron-minet, ils me laissèrent vite reprendre le dessus et à l’aube je pouvais de nouveau jouir de la solitude d’une maison endormie.
Moisson ou pas il fallait continuer les tâches exclusives de la femme, comme vous savez fortes nombreuses.
Je préparais les repas pour tout le monde à la Gaborinière, je m’occupais de la traite et de la vente du lait, je faisais mon beurre, je m’occupais de mon bébé mais aussi de ma petite sœur. Malgré tout cela il fallait quand même qu’avec ma faucille je ramène ces foutues gerbes, j’avais mal aux jambes, au dos, j’étais tellement fatiguée que je ne mangeais plus. Stanislas me disait, tu vas te remplumer je ne veux pas d’une planche à pain. Lui il pouvait toujours causer, à part sa faux il n’avait rien à s’occuper.
Puis enfin, les champs en propre à la Gaborinière furent terminés . Nous pouvions passer dans ceux de Caillaud, certaines de ses parcelles avaient pris un peu de retard. Pour cette année cela tombait bien . Le seul inconvénient c’est qu’en plus, nous devions marcher pour aller et revenir.
Stanislas en cassa un de ses sabots, il hurla que le sabotier était un bon à rien que son bois était mauvais et qu’il allait en changer. Il ne changea rien et je fus chargée d’aller lui en acheter. Le lendemain il avait décidé par mesure d’économie de faire la route uniquement pieds nus.
Pour sûr il les avait durs et bien cornés, presque des sabots. Au bout de deux jours il se mit une épine de ronce, grosse comme mon petit doigt. Il voulut faire le dur, le coriace mais cela s’infecta. Vous vous doutez bien que ce fut moi qui dû le charcuter, quelle répugnance, quelle pestilence. Pour le meilleur et pour le pire disions nous et bien moi je supprimerais bien pour le meilleur.
Il y eut un autre problème bien plus conséquent, en rentrant sur la Vélisière la charrette pleine jusqu’en haut se déséquilibra dans une ornière et versa. Ce fut une belle clameur, une belle indignation, le contenu de la récolte de l’après midi au milieu du chemin et dans la haie d’épineux.
Un bœuf s’était abattu et il était coincé sous la charrette. La pauvre bête gueulait à la mort. Tout le monde accourut même ceux qui étaient à faucher.
Stanislas arriva comme un fou chez nous, il lui fallait d’urgence atteler notre charrette pour aller porter secours à Jacques. Cela prit un certain temps, énervé il n’y arrivait pas , mais c’était normal avec les bêtes il savait mal s’y prendre. Le voilà enfin parti, le jour commençait à décliner et il fallait se hâter. Transférer tout un chargement, redresser la charrette demandait l’effort de tous les hommes. Quand au bœuf sa patte était cassée et Jacques allait devoir le tuer. Seulement tuer un bœuf qui appartenait au châtelain demandait autorisation et aussi l’ aveu du versement de la charrette. Le Jacques Caillaud en fut retourné mais il n’eut pas le choix. A la Guignardière monsieur n’était pas là mais il fut reçu par le régisseur monsieur Hiss. Il dut attendre à l’office que sa seigneurie veuille bien consentir. Quand il fut mis au courant il se rendit sur les lieux. Devant l’évidence, il donna l’autorisation d’achever l’animal.
Les moissons étaient pour sûr gâchées par cet événement, le Jacques se verrait soustraire une large part de ses bénéfices. En métayage nous étions de moitié, mais quand il y avait problème c’était le métayer qui y perdait le plus. Jacques Caillaud et ma Louise étaient anéantis, comment s’en tireraient -ils l’année prochaine?
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