UNE ANNÉE DE LA VIE D’UNE FEMME, SEMAINE 28, la moisson

 

Nous y étions, comme un seul homme toute la campagne se leva, du nord au sud , de l’est à l’ouest. A la Gaborinière, à Beaulieu, à Bel air , à la Bérardière, au Brosse, à la Chagnolerie, à Chauve Jote à la Lévraudière et partout ailleurs, tous se préparèrent.

Il n’était plus question de rien d’autre , tout le monde priait pour qu’en ce jour personne ne passe. Les femmes serraient leur ventre pour ne pas avoir la malencontreuse idée d’accoucher pendant le grand moment .

Bien sûr aucun mariage n’était programmé, le curé ne rêvait que d’être en vacances car lui aussi voulait en être. En homme voulant être près de ses paroissiens il avait acheté une petite parcelle pour symboliquement moissonner avec ses ouailles.

En être consciencieux, un vicaire était prêt à palier à toutes éventualités. Dieu pouvait se montrer bizarre et rappeler à la vie en ce jour.

Tous, je vous dis, étaient au travail, le forgeron, le maréchal ferrant. Ils attendaient les clients éventuels une faux ou une faucille cassée. Les deux aubergistes faisaient un peu grise mine car la clientèle se ferait évidemment absente.

Les moulins étaient aussi fin prêts à tourner, à Bel air la meule avait été repiquée et au Frolot la roue avait été visitée part un charpentier .

Le ciel était bleu, immensément bleu, aucune tache blanche, aucun filet blanc. L’aspect cotonneux de la veille avait été chassé par un petit vent. Même les plus mauvais augures ne pouvaient se tromper, aucun risque de pluie.

Les chemins se remplirent de faucheurs, de moissonneurs, de botteleurs, de lieurs, Babel des régions, Babel des patois, nous avions pour nous prêter mains fortes, des bretons, les limougeauds, des auvergnats. Personne ne se comprenait vraiment mais tous savaient pourquoi ils étaient là.

De chaque bosquet comme par magie sortaient des travailleurs, on eut dit un flot, une source qui ne tarissait pas. Certains groupes chantaient d’autres devisaient gaiement. Sur les branches les oiseaux en spectateurs observaient étrangement ce ballet et nous accompagnaient en signe de joyeuseté de chants et de musiques.

Les champs de blés, dorés comme des brioches de mariage ondulaient sous l’effet d’une légère brise. Chacun avait sa teinte qui lui était propre, la couleur jaune se multipliait en une imposante palette.

A cette heure les parcelles n’étaient pas toutes éclairées de la même façon, il y avait un profond contraste entre le bas des vallons, le haut des champs, le milieu de la parcelle et le bord ombragé par les haies.

C’était un signe, pratiquement aucune rosée, aucune humidité, le blé serait sec et facile à faucher.

Les odeurs étaient multiples, à couvert des halliers nous sentions les différentes essences de feuillage, chaque arbre était reconnaissable. Les yeux fermés je pouvais savoir au pied duquel  je me trouvais. Malgré la sécheresse nous pouvions encore percevoir dans de noirs endroits où le soleil avait du mal à se faire jour un soupçon d’humidité. Presque rien, un infime indice venait chatouiller nos narines et nous faisait dire qu’en hiver ce lieu était sous les eaux.

Les blés eux, dégageaient une odeur forte et brutale, comme une femelle appelle son mâle, un parfum d’amour charnel. Tout de suite nos sens étaient exacerbés, je regardais en coin mon Stanislas et mon Aimé, mon corps les désirait.

J’allais faire la moisson comme je me livrais à l’amour, avec passion, et aussi avec peine.

A notre arrivée plusieurs rapaces s’échappèrent des plantes qui abritaient leurs nids. Abandonnant leurs œufs ou leurs petits, les mères tournoyaient menaçantes en une farandole triste et lancinante.

C’est ce que j’aimais le moins dans ces belles journées, cet envahissement intrusif dans un environnement qui s’était créé. Les pauvres bêtes éperdues voyaient d’instinct leur petits perdus.

Toute une autre faune s’échappa avant les coups de faux mortels, des loirs, des campagnols, des souris , des mulots, des lièvres. Une marée de petits habitants qui fuyait le diable incarné qu’était l’humain.

Je mis le déjeuner à l’ombre d’un grand chêne, les bouteilles de vin et les gourdes d’eau dans un ultime filet d’eau du ruisseau presque tari.

J’avais revêtu ma robe la plus légère et mon corsage le plus fin, je me sentais presque nue, légère comme une libellule. Ma soif de travail était grande, j’allais m’en abreuver avec satiété . Une fois commencées, les moissons se devaient d’être terminées.

La fenaison assurait la nourriture de nos bête pendant l’hiver mais la moisson elle assurait notre nourriture pour l’ensemble de l’année. Elle était source de nos revenus et celle pour qui nous combattions et souvent mourions.

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