Lorsque je ne sortais pas de la Gaborinière mon univers était considérablement rétrécis et je ne voyais pas grand monde de la semaine. Les hommes partaient à l’aube et revenaient presque à la nuit, moi j’étais là comme une esseulée, avec mon bébé et ma petite sœur. Je n’avais personne à qui me confier. Pourtant je savais que parler me ferait un bien fou. Alors après avoir remplit mes taches je me décidais à aller voir Louise. Je pris un prétexte fallacieux et je m’en allais à la grande Vélisière. Je savais que mon amie m’écouterait même si je percevais en elle comme un intérêt malsain pour mes malheurs domestiques.
Arrivé la bas j’eus le déplaisir de voir qu’elle n’était pas seule. Sa fille Marie Anne âgée de 13 ans était à ses cotés. De dos on aurait déjà pu les prendre pour deux sœurs, même taille, même silhouette gracile. Les vêtement étaient identiques mais nous portions toutes les mêmes et rien de les distinguait . Bien sûr quand elles se retournèrent le visage de la petite était encore poupin et n’avait rien de comparable avec le visage déjà un peu fané de Louise. Cette dernière était aussi un peu plus enveloppée, la poitrine ronde d’une femme allaitante et le ventre rebondissant d’un accouchement récent. Mais il y avait fort à parier que la petite serait copie conforme de sa mère et qu’un galant pour se faire une idée du devenir de sa future n’aurait qu’à regarder sa mère.
Avec eux se trouvait la vieille Renaud, la belle mère de Louise, une langue bien acérée et bien pendue qui vous faisait une réputation jusqu’ à la capitale. Je ne risquais pas de me confier tant qu’elle serait dans les parages.
Elles s’étonnèrent de ma présence à la Vélisière mais Louise en fine mouche sut que j’avais à lui confier quelques secrets. Si elle put occuper sa fille sous d’autres cieux, il était moins aisé de se débarrasser de la matrone des lieux. C’était une dure, une ancienne qui avait dit-on souffert du passage des patauds pendant la grande guerre . Elle n’aurait pas compris mes plaintes de femme, car même si l’on vivait comme l’ancienne génération peu à peu nous prenions conscience de certaines choses.
Quand enfin elle nous laissa tranquille je pus tout raconter à celle que je prenais pour confidente. Mes soupçons sur la Céleste, mes soupçons sur la Victoire, les virées de Stanislas et enfin j’osais lui dire notre engueulade au pré. Si le reste n’avait pas intéressé Louise , le croustillant de notre presque bagarre lui titilla l’imagination. Finalement elle aussi se mit à me raconter ses misères de femme, depuis son accouchement elle souffrait atrocement pendant les rapports avec son mari. Mais ce dernier sourd à ses plaintes n’en avait rien à faire et la sollicitait sans cesse. Elle se mit même à pleurer en me disant qu’elle ne voulait plus d’enfants que quatre ça suffisait mais que malheureusement la nature elle le présentait lui en ferait avoir plus.
J’étais là pour recevoir un soutien et je me retrouvais à la consoler, nous avions donc toutes nos malheurs. Nous nous promîmes de tout nous dire. Évidemment j’oubliais sciemment mes élucubrations avec le valet, cela faisait partie de mes pensées les plus profondes.
Je rentrais donc à la Gaborinière, heureuse malgré tout mais je ne me doutais pas du poison que j’y avais laissé. Marie Jeanne nous avait épiées et avait tout entendu. Elle le répéta à ses copines qui le répétèrent ailleurs, ce fut comme une traînée de poudre.
Je fus bientôt la cocue du village, autant vous dire que l’opinion fut partagé et que Stanislas passa aussi de mauvais moments.
Je ne vis pas arriver l’orage,un soir mon mari rentra furibond à la maison, il était passablement éméché et je sus immédiatement de quoi il en retournait. Il commença par me traiter de tous les noms, je ne lui connaissais pas un si beau répertoire. Puis je le vis lever la main sur moi, une gifle monumentale qui me fit me cogner le long du mur, il m’attrapa les cheveux. Mais il entendit du bruit et cessa ses violences. C’était mon père et mes frères, tous les trois firent comme si ils n’avaient pas vu les traces de doigts que j’avais sur le visage. Mon père m’ordonna de sortir faire la traite et désigna le banc à Stanislas.
Jamais je ne sus ce qu’ils s’étaient dit, par contre à moi on me battit froid, pas une parole, le père fut muet, j’avais apporté le déshonneur sur son nom en galvaudant des racontars. Antoine y vit une atteinte à son futur contrat de marié. Mon mari lui me voua une haine sans nom pour avoir osé supposer qu’il avait une liaison.
Nous eûmes même la visite de monsieur Juchereau, ce dernier du haut de sa grandeur dit à Stanislas qu’il devrait mieux surveiller sa femme, si j’étais là il l’a dit comme je vous le dis. Mon père craignit pour sa métairie. Stanislas finalement s’en tira avec une réputation de coureur de jupons et cela flatta son orgueil.
Mais ce n’était pas fini le curé me prit à part et en tira comme conclusion que si mon mari allait voir ailleurs c’était parce que je ne lui rendais pas assez mes devoirs conjugaux.
Puis pour couronner le tout à la sortie de la messe en entendant les cochonneries de ces dames, je sus que Louise avait conté mes déboires intimes.
Jamais plus je ne dirais rien à personne soyez en sûr. Puis maintenant j’étais bien décidée.