UNE ANNÉE DE LA VIE D’UNE FEMME, SEMAINE 26, le foirail

Certes j’avais de la place pour me retourner mais le savoir absent m’empêchait d’avoir un sommeil réparateur.

Mon père pour la Saint Pierre devait faire deux choses absolument, il voulait acheter une vache et louer un journalier en remplacement de Victor, car les moissons arrivaient et nous aurions du mal à tout effectuer.

Ce n’était pas rien que le choix d’une bête, on devait s’y intéresser, s’enquérir du prix, s’en désintéresser pour enfin revenir à nouveau. Mon père s’y entendait assez bien pour ce genre de comédie, mais les marchands étaient rusés et savaient masquer les défauts de l’animal.

Pour le recrutement du travailleur c’était un peu pareil, sauf qu’on y regardait pas les dents.

Bon je rigole, c’était donc jour de fête au village et le monde s’y presserait. Entre le foirail, la gagerie, la messe et la procession jusqu’à la fontaine il y en avait pour tous les goûts. Moi j’étais un peu intéressée par tout , je me devais d’aller à la messe et bien sûr suivre la bannière. Mais une promenade parmi les marchands de bétail ne m’aurait pas déplu.

Je me dépêchais donc pour la traite du matin, les vaches étaient dans le pré juste à coté. Pour moi ce n’était pas la même chose la traite au pré et la traite à l’étable. Je préférais la dernière et autant vous le dire cela n’avait rien à voir avec les visites de Stanislas.

Puis je fis ma toilette, encore une fois ce fut tout un cérémonial, il y avait des hommes partout et je postais ma petite sœur devant la porte pour m’alerter. Il paraît qu’au château ils ont un cabinet de toilette et même une sorte de vasque pour se nettoyer l’intimité, Marie Jeanne m’a dit que cela s’appelait un bidet. Mon Dieu ce n’était pas propre et je voyais bien la Céleste les jupons en l’air après le passage de Stanislas y faire ses ablutions. Je délirais complètement, le petit peuple du château n’avait pas plus accès à ce genre de modernisme que nous.

Bref, direction le village, des dizaines de bêtes étaient accrochées un peu partout sur la place, cela faisait comme un bourdonnement, des groupes se formaient et se défaisaient au gré des transactions.

Les marchands avec leur grandes blouses et leur larges chapeaux attendaient le chaland et chassaient les mouches qu’ils y avaient fort nombreuses avec la chaleur. Dans un autre coin, il y a avait les cochons, dans un autre les volailles. J’allais d’ailleurs y saluer Louise car elle y vendait quelques canes. Ce coin était plus féminin, les robes noires voletaient de partout, les bonnets et les tabliers de couleur apportaient toutefois un peu de gaîté. Au loin il y avait même des marchands de chevaux, j’aperçus la silhouette de mon père, bien entendu il n’avait pas les moyens d’en acheter un mais en amoureux des bêtes il venait les admirer. Tous faisaient de même d’ailleurs, passage obligé qui les faisait rêver. Un passage se fit dans la foule et les chapeaux s’abaissèrent , notre maître entouré de sa cour venait de passer pour se rendre à l’église. Le maire s’ il avait pu lui aurait ciré les bottes et sa femme pour attirer ses nobles faveurs lui aurait baisé le cul.

Louise eut la visite de Victoire, elle s’était arrondie la bougresse, nous y allâmes de nos supputations était-elle pleine? Personne ne lui connaissait de régulier par contre tous lui avaient établi une liste de galants fort longue. Mon mari était dessus, en espérant que cet idiot ne lui ai pas planté une graine.

Le Stanislas au loin était réapparu, il faisait son coq et visiblement à voir le rire de ses auditeurs il avait un réel succès.

Lui rigola moins dès qu’ il me vit, il me balbutia l’excuse habituelle, j’avais trop bu, j’étais trop loin de la métairie.

Je ne le crus pas un instant, et en pénitence je le traînais à la messe. Il ne crut pas bon de s’y dérober.

Puis ce fut la procession jusqu’à la Fontaine Saint Gré, en plein jour, notre imaginaire ne jouait plus de la même façon. Plus rien d’inquiétant devant ces cailloux qui affleuraient à la surface de l’eau. Bucolique je dirais même, l’on aurait pu facilement poser son panier et y manger un morceaux. Le prêtre bénit l’endroit, c’était un peu comme pour les rogations quand il bénissait les champs. Cela avait un rien d’ancestral et cela nous plongeait dans les origines de notre religion. Je me posais beaucoup trop de question pour une pauvre paysanne et le curé m’avait déjà dit Angèle mêle toi de ce qui te regarde. Ton homme, ton père, tes enfants, tes vaches, ne t’occupe pas de choses qu’un femme ne peut comprendre. La religion est faite pour les femmes mais les dogmes sont faits par les hommes.

A voir la tête du Stanislas pendant la procession on aurait dit qu’il venait de perdre quelqu’un.Il n’avait perdu personne sauf son temps. Il s’empressa d’aller rejoindre mon père qui topait avec un marchand en buvant une chopine de vin de Mareuil.

La foire se terminait et les pèlerins reprenaient le chemin de leur maison. Les marchands de bestiaux repartaient avec les bêtes que les paysans du village leurs avaient cédées et les paysans eux fêtaient leurs nouvelles acquisitions en se régalant de vin. Bientôt viendrait le temps des jeux de cartes et de palets et en une fièvre combattante chacun y donnerait le meilleur de soi.

A l’église le père Gauthier était fort satisfait des dons qui avaient afflué dans son panier de quête. Le fabricien en était fort satisfait et peut être qu’un jour on pourrait de nouveau édifier un nouveau clocher. Nous les femmes mariées nous n’étions pas autorisées à rester au village pour boire et jouer alors chacune repartait vers sa métairie. Moi je rêvassais, mais aussi je ruminais ma colère de ce que le Stanislas avait découché.

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