Il n’y avait plus de fête en vue avant un bon moment et nous commencions ce mois de juillet sous l’égide d’une chaleur accablante. Si les blés allaient finir de mûrir plus vite, tout le reste était et serait vouer à sécher sur pieds. Certaines prairies naturelles avaient déjà perdu leurs belles couleurs vertes et se nuançaient déjà de jaune.
Tous les jours le père allait voir ses blés, il attendait le moment idéal. Encore quelques jours, en attendant sa nervosité rejaillissait sur l’ensemble de la maison. Moi je venais d’avoir mes menstrues et je n’étais guère fine en cette période, Stanislas était tourmenté par quelques secrets que je n’arrivais pas à percer et ma petite Marie quand à elle, hurlait du matin jusqu’au soir. Encore si elle s’était tue la nuit nous ne pourrions trop rien dire mais le fait de se retrouver dans le noir décuplait ses beulements. Le père disait en bougonnant » jva te la foutre au fumier » ou »pour sûr c’est bien une pisseuse » .
Mon père en patron méticuleux avait fait nettoyer la grange de fond en comble, Antoine faisait remarquer que ce n’était pas le travail du fils du patron, Stanislas répondait que ce n’était le travail de celui qui couchait avec la fille du patron. Vous voyez l’ambiance était charmante. Quand le patron s’en allait, tous en cœur, fils, beau fils et valets lui faisaient des grimaces, lui en capitaine de navire maintenait le cap et ne pensait qu’à sa moisson.
Rutilante, sans rongeur, sans fiente de poules, les communs de la métairie pouvaient accueillir les gerbes de blé.
Aimé après cela fut assigné à la confection de liens de paille, je pus ainsi l’admirer sans que cela ne prête à confusion car il était dans notre cour.
Je ne lui avais pas encore pardonné d’avoir vu mes jambes mais bon c’est vrai nous étions quitte.
Nous pouvions de nouveau nous mesurer, nous toiser, nous provoquer. Je savais jouer un jeu dangereux. Pour les hommes trousser les femmes n’étaient que gloire, pour les femmes se laisser aller à quelques faveurs n’étaient que honte et déshonneur qui de plus pouvaient vous conduire en prison. Nous n’en étions pas là mais il faut bien le dire j’avais envie de me laisser faire par ce freluquet. Enfin j’avais plus envie de jouer avec lui que de me laisser faire véritablement.
Au cours de la matinée je devais amener les vaches à la mare, elles étaient énervées et moi pas très sereine. Alors il m’aida, je crois qu’il avait un don pour la conduite des animaux, car juste au bruit et en leur parlant il les mena tranquille.
Quand je contais cela le soir à mon mari il me dit que: c’est parce que tu as tes cochonneries, cela les énerve.
A un moment nos corps vraiment se sont frôlés, j’ai senti son haleine et la chaleur de ses lèvres. J’étais presque à l’embrasser, il s’en est fallu de peu pour que cela ne bascule.
Mais ce n’était rien il reprit le cours de son travail et moi le mien, notamment de porter le repas aux autres hommes car la fenaison se prolongeait encore un peu.
C’est un peu à l’écart de tous que Stanislas et moi on eut une discussion sérieuse, je voulais savoir où il était le soir de la saint Pierre. Il ne voulut pas me le dire disant qu’il faisait ce qu’il voulait, qu’il ne m’appartenait pas. Moi au contraire je lui disais que notre appartenance était mutuelle. Cela dégénéra quelque peu, un mot en entraînant un autre. Puis on se mit à hurler, nous étions contre le vent et assez loin alors personne ne nous entendit. Il était hors de lui et je commençais à trembler car il était sur le point d’employer la violence.
C’est d’ailleurs ce qu’il fit car il m’attrapa et me coinça sous son bras. Il me remonta la robe sur mon postérieur comme si il voulait m’administrer la correction qu’on réserve aux enfants récalcitrants, il n’allait quand même pas oser faire cela. Sa main m’effleura comme pour montrer qu’il pouvait le faire et qu’il avait le pouvoir. J’étais tétanisée, honteuse, dépendante de lui.
Ensuite il m’allongea sur le sol j’étais nue jusqu’à la taille, il porta tous le poids de son corps sur moi, comme voulant me montrer que je lui appartenais que j’étais sa possession.
Des larmes me vinrent, il s’écarta vivement et partit reprendre son fauchage. Il m’avait humiliée et je ne savais toujours pas où il avait passé la nuit.
Je repris le cours de ma journée, mais j’étais de très mauvaise humeur, ma petite sœur en fit les frais car je lui mis une taloche pour une peccadille.
Le soir, le Stanislas était de fort bonne composition, semblant avoir oublié notre méchante joute dans le pré. Toute la soirée il s’entretint avec mon père au sujet de la moisson à venir. On eut dit deux généraux établissant une stratégie pour attaquer un ennemi. Je me demande bien ce qu’ils pouvaient se raconter, car tous les soirs ils ne parlaient que de cela. D’ailleurs le père il pestait que son fils ne soit pas là , mais je crois qu’Antoine avait mieux à faire.