Nous arrivions maintenant à l’époque où les journées étaient les plus longues. Ce n’était pas un mot, elles étaient réellement plus longues, la nuit n’en finissait pas de tomber et l’on avait l’impression sinistre que le jour arrivait alors que nous venions de fermer les yeux.
Heureusement pour atténuer nos fatigues, nous avions à fêter la saint Jean, monsieur le curé apparemment ne l’aimait guère cette fête car pour lui, elle était la prolongation du mal, une résurgence des temps anciens. Il pensait le bon prêtre, que nous ne célébrions pas la même chose, lui et nous.
Lui commémorait la naissance de saint Jean dit le baptiste le prophète qui avait annoncé la venue du messie. Là aussi apparaît l’ange Gabriel, il venait annoncer à Zacharie un vieux prêtre du temple de Jérusalem qu’il allait avoir un enfant. Hors lui était bien trop vieux et sa femme Élisabeth était stérile. Aucune chance alors pour qu’elle procréa, l’ange se fâcha et priva le vieux de la parole et neuf mois plus tard arriva le futur baptiseur du Christ.
Comme de juste dit mon père? tes idioties elles tombent sur la fête de la lumière et des moissons.
Oui elle tombe dessus et alors, vraiment le père n’était qu’un athée qui ne croyaiT en rien sauf en son vin et en son blé.
Moi j’étais bien décidée à associer les deux, de toutes façons le travail était interdit et la messe serait encore une fois une merveille.
En ce jour le village était pris d’une forte fièvre, les jeunes étaient en train de confectionner un bûcher sur la place. Le bois s’entassait, pour la réputation du village et de sa jeunesse il fallait qu’il soit beau et surtout qu’il soit vu de loin. J’aperçus mes frères, pour une fois qu’ils faisaient quelque chose ensemble. Mais à y regarder de plus près Antoine était avec ses copains et croyez moi ils étaient déjà fort gais, Augustin plus en retrait semblait comme attendre quelqu’un.
Tout le monde arriva à l’église et la bande de mon frère fit un tapage du diable en entrant, cela fit rire toutes les donzelles du village, toutes celles qui étaient bonnes à marier et toutes celles qui pensaient déjà à la soirée pour goutter aux joies d’une rencontre masculine.
Nous les plus vieilles , les plus responsables nous leurs lançâmes un regard réprobateur. Antoine me fit une grimace, vivement que cet idiot prenne femme, cela le calmera.
Le curé finit par obtenir le silence et put faire sa messe, nous ne savions si il accepterait de bénir le feux .
Comme je vous l’ai dit, outre la chaleur accablante de la journée, les jeunes s’enfiévraient car ils allaient élire leurs bacheliers et leurs bachelières. Ils allaient braillants déjà ivres et dépenaillés, certaines filles avaient une attitude peu conforme à la décence , propos orduriers, jupons relevés, corsages échancrés. Ceux désignés seraient un peu comme les chefs et ce pendant toute l’année. Ils seraient aussi responsables des pires turpitudes, l’année dernière ils avaient battu un pauvre homme qui avait eu le malheur de se marier avec une beaucoup plus jeune. Ils avaient aussi voulu administrer une fessée à une veuve un peu trop généreuse, heureusement les gendarmes avaient empêché l’ignominie. Mon frère vaniteux comme un prince aurait bien voulu être le roi du village car l’année prochaine il serait marié et il ne ferait plus parti de la jeunesse. Moi j’espérais qu’il ne le serait pas car tout ce qu’il faisait était emprunt de méchanceté et de calcul.
J’appris plus tard que les autres ne l’avaient pas choisi, il était rentré à la Gaborinière mortifié et s’en était pris à Aimé qui était de garde auprès des animaux.
Augustin lui avait mystérieusement disparu, comme envolé, pas avec son frère, pas avec la bachelerie car il n’était pas à l’aise avec cette jeunesse en liesse.
Je me décidais à me promener près du géant avec Louise et Marie Jeanne, nous discutions de tout et de rien, moi il faut bien le dire, Marie ma fille me pesait bien un peu sur les bras.
Oh loin j’aperçus mon petit frère, il n’était pas seul. Heureusement personne ne le vit à part moi car il ne me sembla pas que ce fusse une fille. Cela me tourmenta au possible, les jeunes excités par l’alcool pouvaient les voir et s’imaginer des choses.
Moi personnellement je n’avais rien vu de spécial, ils étaient loin et rien ne pouvait faire penser à quelque chose d’équivoque. Mais j’étais inquiete comme une mère, cela me taraudait, me tordait les boyaux. J’étais bien pâle et moi aussi je pris le chemin de la métairie. Je ne savais pas ou était mon père, ni mon mari, mais après tout je m’en moquais. Tout se délitait à la Gaborinière.