UNE ANNÉE DE LA VIE D’UNE FEMME, SEMAINE 24, le foin au fenil

 

Le matin du jour suivant changement d’équipe, j’étais avec mon petit frère, on alla retourner encore une fois notre herbe coupée, la pissette de la veille au soir n’avait en rien affecté le séchage et en fin de matinée avec une fourche nous avons commencé de retourner l’herbe afin qu’elle sèche complètement. Cette opération fut reconduite plusieurs fois, mais il faisait si beau que le séchage serait de qualité.

Les journées s’enchaînaient avec une belle régularité, fatigue, crasse, mais bonheur de pouvoir fournir à nos animaux une belle nourriture.

Après que l’herbe fut bien sèche, avec de grand râteaux on s’employa à faire ce que nous appelions des mulons.

C’est à dire que nous regroupions en tas le foin pour en faciliter le ramassage. J’aimais ces longs traits comme dessinés sur le vallonnement. Si l’on avait pu prendre un peu de hauteur nous aurions vu dans tous les champs environnants la même peinture tracée dans le tableau d’un grand maître.

On pratiqua ainsi sur l’ensemble de nos terres et comme des fourmis se mouvant à la recherche incertaine de nourriture tous les artisans de la vie de notre campagne en firent de même.

Mais bon, nous n’avions pas œuvré pour faire ces jolies rangs pour rien et il fallait bien rentrer la récolte.

Les hommes attelèrent la grande charrette avec nos quatre bœufs, elle m’avait toujours paru immense, comme une grande nef d’église. Mon père l’entretenait comme un bourgeois entretenait sa danseuse, avec faste, avec fierté. Elle rutilait comme si elle était neuve, une perle, une beauté, mon père passait sur le bois sa main comme il caressait la croupe de ses bœufs et celle de Marguerite.

D’ailleurs les bêtes ne valaient pas moins que cette dernière dans l’esprit du père, c’était ses enfants et à n’en pas douter, ils avaient reçu plus de caresses que nous. Bien forts , bien nourris, bien pansés, ils attendaient soufflant d’impatience comme si ils connaissaient l’importance de la tâche qu’on allait leur demander. Papa disait qu’ils avaient une conscience presque humaine, qu’ils savaient tout,qu’ils comprenaient tout. C’était peut-être un peu exagéré mais néanmoins moi aussi je les trouvais beaux. Le lourd charroi s’ébranla mais pour l’instant malgré sa masse il n’était que légèreté.

A la prairie, l’on s’organisa, mon père en maître de ballet ou en général d’armée distribua les rôles.

Il fallait avec art charger le foin pour qu’il ne chût pas sur le chemin périlleux du retour.

Bientôt environnée d’un halo de poussière d’herbe, recouverte de la suave odeur de printemps la charrette se remplissait. Nous faisions des pauses régulières, l’eau fraîche d’une source nous désaltérait avec abondance. Le père préférait sa piquette car il disait que l’eau glacée nous tomberait sur le ventre. A large rasade il vidait sa gourde,le liquide rosé lui coulant des lèvres en un léger filet qu’il essuyait négligemment d’un revers de sa manche de chemise. Pendant que les hommes chargeaient moi je ratissais pour ne rien perdre du précieux aliment. Je voyais qu’on surveillait mon ouvrage et je m’appliquais pour ne pas recevoir les remontrances paternelles.

Les bœufs avaient déjà bien du mal à avancer alors que tout le foin n’avait pas été ramassé. Cela formait un échafaudage brinquebalant. Antoine en équilibre sur le sommet dansait dangereusement, pourvu qu’il n’y ai pas de drame.

Père mettait un point d’honneur à ce que toute l’herbe de son champs tienne en une charretée.

La journée ne finissait pas avec ce chargement car à la métairie il faudrait bien le mettre dans le fenil;

Le foin serait rangé au dessus de l’étable à l’endroit ou dormaient mes frères, leur chambre s’en verrait considérablement rétrécie, mais ils ne s’en plaignaient guère. Ce ne fut que débauche de fourchées, tout le monde avait hâte que la journée finisse. Je fus envoyée dans le fenil pour tasser le foin uniformément. Je montais gaillardement l’échelle et je m’aperçus trop tard que mon mari et Aimé étaient dessous. Autant vous dire qu’aucun des deux ne perdirent une miette du spectacle que leur offrait mon cul blanc. Stanislas en rajouta de sa voix de stentor et entonna une chanson gaillarde pour illustrer la jolie scène. Quand tout fut retiré de la charrette, il monta me rejoindre et voulut me montrer qu’il avait encore des forces malgré la dure journée de fenaison. Je n’avais guère envie, il faisait chaud, trop chaud pour l’amour même si il faut bien le dire l’odeur du foin était un appel à la sensualité. Cela ne se fit pas car Antoine passa vicieusement sa tête par l’ouverture appelant son beau frère pour une stupidité qui coupa ce dernier dans son élan.

Bien sûr nous avions d’autres prairies à faucher, d’autres périples à effectuer sur les chemins caillouteux. Suivant l’importance des métairies le fauchage irait bien jusqu’en juillet, mais nous petites gens, nous aurions au pire fini la semaine prochaine. Papa était content, normalement nous pourrions alimenter nos animaux.

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