UNE ANNÉE DE LA VIE D’UNE FEMME, SEMAINE 24, la fenaison

Nous y étions enfin, la maison s’agitait , le père s’était levé avant moi et m’avait délogé en disant debout les feignants. Vous parlez que j’étais contente d’un tel début de journée. Mais bon je lui pardonnais c’était les fenaisons.

J’avais préparé une solide soupe, bien épaisse, grasse de couenne de lard. Les hommes la lapèrent goulûment avec bruit de succion. Nous en étions à celui qui ferait le plus de bruit et Stanislas très gai . Le père mais avec parcimonie leur versa un verre de blanche. Aimé pauvre drôle s’étouffa à moitié, Antoine lui tapa dans le dos en lui disant tu n’es qu’une fillette, si il savait ce que la fillette faisait dans la grange, mais bon chacun ses secrets.

Il faisait encore nuit que chacun était dehors à aiguiser encore une fois sa faux. Papa était inquiet comme tous les chefs d’exploitation. L’herbe était bonne à couper, le temps était idéal, mais les variations climatiques pouvaient arriver même au mois de juin. La preuve en était cette averse très forte qui avait retardé tout le monde presque une semaine.

Mes bonhommes partirent, comme des militaires au défilé, au pas, formant une troupe, bien sûr le chef et son fils en tête. Antoine n’aurait jamais laissé un domestique en ce jour se porter à hauteur de son père. C’était fierté déplacée nous avions tous le cul terreux. Stanislas discutant avec Augustin s’était déjà laissé distancer, je crois qu’il le faisait exprès. Venait ensuite la fillette dont le corps à la poitrine glabre me revenait en esprit. J’irais les rejoindre toute à l’heure pour leur apporter une collation. De chaque métairie partaient ainsi des grappes de travailleurs. Les plus grosses exploitations avaient loué des journaliers. Nous, depuis l’accident de Victor le surplus de travail était réparti sur chaque épaule. Nous en aurions pour un moment et je surpris même mon père se signer afin que notre Seigneur par sa bonté infinie nous gratifiât d’un temps magnifique.

Ce matin là je fis flèche de tout bois et ayant fini mon labeur je me permis de m’asseoir un peu avant d’aller ravitailler mes hommes.

Le soleil me chauffait délicatement et je faillis m’endormir sur ma pierre, c’est mon chat qu’on surnommait gros noir qui en me frôlant les jambes me fit sursauter.

Je pris mes paniers, dans l’un le solide pain, du fromage et même une saucisse, sèche, odorante et appétissante. Dans l’autre bien plus lourd les litrons de ces messieurs.

Quel magnifique spectacle que ces hommes avançant sur un seul rang, comme commandé par une seule main. Invariablement leur faux s’abattait en même moment en un seul mouvement. Leurs bras forts et musclés maniaient avec élégance leur outil. Même Augustin avec son corps de fille ne dénotait pas dans le tableau, il semblait simplement plus léger , plus aérien.

Au commandement de mon père chacun s’arrêtait et aiguisait sa lame. A la ceinture tous portaient un étui de bois qu’on appelait coffin, à l’intérieur les ouvriers y tenaient leur pierre à faux. Au fond un peu de paille et d’eau pour que la pierre soit humide et aiguise mieux la grande lame de la faux.

Chacun avait ses secrets pour bien entretenir sa lame et je me souviens des colères du père quand Antoine et Augustin n’aiguisait pas comme il le fallait.

Bien sur de temps en temps il fallait aussi battre la lame et de tous cotés on entendait le bruit du marteau s’abattant sur la lame de la faux calée sur l’enclumette. Cette opération demandait un certain savoir faire mais l’efficacité de la coupe dépendait bien sûr du coupant de la faux. Je les aurais regardés des heures, mais ils m’aperçurent et papa donna l’ordre de manger. Stanislas s’enfila d’une traite la moitié d’une bouteille de vin, heureusement qu’elle ne tirait pas fort et ensuite alla rejoindre la file des pissous. Oh que c’est vilain cette rangée de grossiers plaisantins tenant leur affûtiaux et qui rigolaient comme des drôles à celui qui pisseraient le plus loin. Stanislas décidément en forme me prit par la taille et me déposa un baiser humide sur la bouche. Cela me retourna complètement, il sentait l’odeur forte de la transpiration,il se confondait avec les flagrances de l’herbe coupée. Ses cheveux collés par la sueur étaient gris de poussière. A ce moment j’eus envie de lui, c’est indescriptible comme mon corps le réclamait, je ne regardais même pas Aimé et je ne pensais plus à Céleste à Victoire ni à quiconque d’ailleurs.

Était-ce l’odeur des foins coupés, la chaleur, la rasade de vin frais, la puanteur de l’homme qui me retournaient les sangs et les sens.

Au yeux de mon mari j’ai vu qu’il avait remarqué mon trouble, si nous avions été seuls l’issue aurait été fatale. Ils reprirent leur travail et Stanislas me chuchota une bêtise à l’oreille en reprenant rang.

Moi je savais que la magie était terminée, que l’odeur du Stanislas se ferait ce soir écœurante et que la triste voûte de notre alcôve serait moins enchanteresse que ce tapis d’herbe fraîchement coupée.

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