UNE ANNÉE DE LA VIE D’UNE FEMME , SEMAINE 20, le précieux engrais.

 

Le soir Stanislas voulut encore faire le fanfaron mais il fit un tel bruit en se déshabillant qu’il réveilla Marie, tant pis pour lui.

Demain serait un autre jour il était temps de dormir car les journées commençaient avec le soleil et en mai la proportion d’heures ou nous étions couchés s’inversait avec la proportion des heures ou nous étions dans les champs.

On commença la semaine par une opération particulièrement délicate. Que je sois clair, si j’emploie ce dernier mot, ce n’est pas en référence à l’odorat, mais plutôt à la façon dont nous allions la faire.

Nous devions aller fumer le champ de la Sablaie, de ce fumier correctement répandu dépendait la récolte.

Comme toutes les métairies du village nous devions équilibrer entre les cultures et l’élevage. Plus nous avions de bêtes plus nous avions de fumure et meilleurs en serait les rendements. Mais avoir plus de bestiaux nous contraignait à réduire nos surfaces cultivables. Nous tournions un peu en rond.

Donc ce tas de fumier que d’aucun trouvait nauséabond se révélait être très précieux. Le père disait qu’il valait de l’or et il le respectait comme il respectait ses bœufs et ses cochons.

D’ailleurs et pour tout dire nous étions tellement habitués que l’odeur ne nous gênait pas, parfum lourd et parfum changeant. En effet les flagrances subtiles étaient différentes d’une saison à l’autre, légères l’hiver avec un voile de vapeur, plus suaves et changeantes au printemps. En été elles se faisaient plus piquantes, plus fortes, plus insidieuses dans l’environnement. A l’automne l’âcreté diminuait et se faisait plus discrète, l’odeur sagement rentrait dans le rang.

Les hommes chargèrent le tombereau, je les regardais par l’ouverture de la porte, ils étaient beaux en leurs efforts. Leurs bras puissants déjà halés par le soleil, formidables leviers enfourchaient la matière avec art et élégance. Une légère démarcation se voyait sur leurs bras au niveau où leur chemise était retroussée, formant comme une frontière entre le beau temps ensoleillé et la grisaille de l’hiver. Lorsque l’on fait un travail difficile la gaîté se doit d’être de mise. Pas toujours avec bon goût car cet idiot d’Antoine lâcha qu’il reconnaissait mes merdes dans la paille. Cela les fit rire et Stanislas sur le vague air du tradéridera composa une chanson qui reprenait la plaisanterie de son beau frère  » saura tu passer la merde d’Angèle et tradéridéra et tralonla » . Toujours marrant de se moquer des autres, mais enfin le labeur fut terminé et comme on emmène un mort, nous formâmes cortège jusqu’au Sablaie.

Eh oui j’étais de la partie, Thérèse me gardait les enfants.

Avec compétence mon père dirigea les travaux, chaque fumeron fut déposé à la bonne place . Puis avec leur fourche, Père, Stanislas et Antoine répartirent le précieux produit.

Augustin, Aimé et moi devions diviser et émietter les morceaux trop gros. La bonne humeur continuait d’être de mise. Nos habits, notre corps avaient pris l’odeur du fumier, nous en étions imprégnés  malgré nos précaution maculées. Cela nous faisait rire nous n’étions pas zirous.

A la dérobé j’observais mon petit frère, mon Dieu quelle préciosité, il maniait sa fourche comme un bourgeois sa cuillère à désert. Son rendement sans ressentait mais Aimé par sa virulence comblait ce manque.

Je savais que mon père, pour ne pas avoir à se fâche,r éloignait son fils de lui le plus souvent possible. Il l’aimait sûrement mais les manières d’Augustin lui irritaient l’épiderme.

Je n’avais pas eu l’occasion de remercier Aimé pour son aide lors de la maladie de ma fille et lors de l’accident de Victor. Il bredouilla que ce n’était rien, qu’il fallait bien s’aider. Puis dans un élan que je n’attendais pas de lui il me dit que j’étais la meilleure des patronnes et qu’il serait heureux de rester une année de plus. Moi aussi évidemment je voulais qu’il reste. D’abord j’avais à le remercier et je le ferais à ma manière et d’autres parts je devais me venger de Stanislas. Mon remerciement et ma vengeance quand à la manière allaient se rejoindre.

Nous fîmes une pause méridienne, chacun se mit à l’ombre de la haie et tous casse croûtèrent. Stanislas et mon père se firent un petit roupillon. Antoine attiré par la présence d’une jeune bergère de sa connaissance alla lui conter fleurette dans un pâti. Augustin mut par un instinct de femme se leva et me laissa pour ainsi dire en tête à tête avec le jeune valet.

Instant magique, irréel de la rencontre entre deux êtres que tout doit séparer. Nos mains se joignirent et nos doigts se croisèrent. Mes yeux s’enfoncèrent dans les siens et commencèrent un déshabillage.

Je voyais son jeune corps, ses muscles saillants son ventre sculpté. Je me fondais en lui et une envie furieuse de me jeter sur ce terrain vierge commençait à se dessiner dans mon esprit. La couleur de ses yeux avait changé, la transparence de ses yeux azur se faisait plus forte. J’imaginais, qu’il imaginait mon effeuillage ma mise à nue.

Stanislas se réveilla,  » Angèle donne moi du vin  ».

Par un labourage judicieux le nectar paysan fut enfoui, les hommes étaient satisfaits.

Moi pendant que ces messieurs se rafraîchissaient le gosier je commençais une autre journée.

Avec Marie dans le berceau j’allais faire la traite du soir. Moment de sérénité absolu, que cette compagnie animalière, c’est on le sait mon moment préféré. Celui où je suis la plus réceptive aux choses de la vie.

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