UNE ANNÉE DE LA VIE D’UNE FEMME, Semaine 15, l’altercation du champs de la fosse

 

Mon père avait décidé après bien des disputes avec Antoine que le champs que nous appelions la fosse devrait être travaillé dans la semaine. Il avait tablé en maître et nous tous ce matin devions nous rendre là bas pour sarcler les blés.

En vieux métayer qu’il était, héritier des techniques de ses ancêtres, peu coutumier d’innovation Jacques Herbert mon créateur semait son blé à la volée et non en ligne comme certains le préconisaient maintenant. Il résultait de cette manière de faire que nous n’avions pour lutter contre les indésirables que notre houe ou nos mains. Le travail était épuisant et répétitif. Nous autres les femmes étions bien sûr embauchées comme si nous n’avions rien à faire d’autre.

Remarquez moi j’aimais bien,cela me sortait de la maison. Nous nous faisions aider par d’autres et une fois notre champ terminé nous passions au leur.

L’ambiance comme pour tous les gros travaux était festive, enfin presque. Ceux des Brosses et des grandes Vélisières étaient là.

Le père commandait à tous , normal c’était son ouvrage, l’un à droite, l’autre à gauche. Moi j’avais ma drôlesse pendue au sein . Une journalière du village qui malgré son fardeau avait été gagée par nous semblait être calée sur moi pour la sortie des nichons.

Le champs de la fosse était une belle pièce de terre, mais légèrement voûtée par quelques plis de terrain mystérieux. L’humidité stagnante en faisait un terrain propice à la venue des mauvaises herbes et les chardons mes bêtes noires y proliféraient.

Moi en bout de rang j’étais donc avec cette Marguerite, nous avions été mise là comme on dépose un fardeau trop lourd, j’avais l’impression qu’on attendait très peu de nous. Je me trompais pour sûr, en témoignera l’engueulade que j’essuierai vers midi lorsque mon divin père s’ apercevra que nous avions traîné quelque peu.

Ma voisine on l’appelait communément la bâtarde, le mot n’était pas joli, comme si le fait d’être née hors des liens sacrés du mariage était rédhibitoire pour le peuple jureur. Je fis bêtement comme les autres mais ayant eu honte lorsqu’elle me dit « appelle moi Marguerite cela sera plus simple ». Lorsque assises sur un chiron les seins nourriciers sortis pour nos petits, on se racontait nos misères de mère. Elle avait presque 40 ans, c’était déjà tard mais certaines d’entre nous se faisaient piéger encore bien plus tardivement. De confidence en confidence je sus qu’elle n’était guère heureuse et en peu de temps nous fumes complices. Comme je vous ai dit à papoter le labeur n’avançait pas. Aimé mon valet voyant cela accéléra sa cadence pour venir à mon secours. En faisant cela il s’exposait à sortir de son rang pouvant craindre le courroux du maître.

Nous étions dans les premières chaleurs, celles difficiles , celles qui nous surprennent et parfois nous tuent. En haut du champs nous crevions littéralement. Le soleil qui semblait nous dire en montrant sa force, je suis là et bien là et je règne en roi, nous faisait fondre littéralement. Mais en bas du terrain il n’était plus le maître, la fraîcheur apportée par la grande haie prenait le dessus et nos corps mouillés frissonnaient de froid. Le contraste était violent et pouvait être mortel, d’aucun en ces travaux printaniers recevaient les morsures terribles de ces changements de température. Des frissons, une mauvaise toux et puis plus rien n’allait ensuite, faisant sien du dicton en avril ne te découvre pas d’un fil.

Ce n’était pas particulièrement un bon jour pour moi, Marie hurlait en bout de ligne et réclamait son du, mes seins craquelés me faisaient très mal et pour couronner le tout l’un de mes sabots se fendit. Encore une dépense supplémentaire qu’il me faudrait négocier âprement auprès du père sans le soutien de mon pusillanime de mari.

Malgré la force du gamin homme, le secteur que nous avait assigné mon père, n’était encore qu’une ébauche de travail. Il s’en prit bien sûr à la bâtarde, il l’incendia, la couvrit de vilains mots, ce n’était que femelle feignante et geignarde qui profitait de la mansuétude qu’il avait à son égard. Elle plia sous le vent des injures, son regard passait de son bébé à moi, comme une supplique à intervenir.

J’étais tétanisée devant la violence de l’ire paternelle, aucun mot ne me vint, rien muette comme une tombe. Les autres s’étaient regroupés curieux du spectacle gratuit. Mon père continuait en un flot inépuisable le déferlement de sa haine. Marguerite pleurait, car elle savait que ce ne serait qu’un prétexte pour ne pas lui donner ses gages correctement. Un moment j’ai même cru qu’il allait la battre. Tous les vilains mots de la terre se déversèrent sur la pauvrette et moi méchante femme à qui indirectement tous ces reproches étaient aussi destinés je restais obstinément muette.

C’en fut de trop quand mon père s’approcha à mordre du visage de Marguerite et qu’il lui cracha au visage en disant foutue feignante. Aimé du haut de ses seize ans s’interposa et vint s’intercaler entre la journalière et son patron. Ce dernier surpris cessa immédiatement son attaque contre la faiblesse de l’inférieure. Tous nous avions le souffle coupé de l’audace du valet qui faisait front. Moi j’étais gonflée de craintes pour lui et honteuse car il intervenait à ma place. Dans le champs tous avaient posé la houe, le patron allait il mettre une peignée à son valet, leur instinct animal le voulait sûrement mais leur conscience le rejetait.

Finalement le verdict tomba, mon père comprit et lâcha sa sentence, Aimé aiderait la journalière à rattraper son retard pendant la pause du repas. Il se retourna en maugréant ,pour une fois que j’en ai un qui a des couilles.

Comme pour me racheter de mon mutisme je courus à mon père et lui dit moi aussi j’ai pris du retard alors je reste avec eux. Il me regarda de ses yeux durs et enfin un sourire fendit sa face qui devint subitement rubiconde.  » Bien ma fille tu es une véritable Herbert  », il était heureux que je prenne enfin position car sa colère qu’il avait dirigée sur son employée m’était aussi destinée.

Je ne savais pas que cette journée serait un tournant pour moi, le jeune Aimé travailla auprès de moi. Nous nous frôlions au hasard des rangs, parfois même sa sueur se mélangeait à la mienne dans une fusion alchimique. Quand nous étions proches l’un de l’autre son odeur enveloppait la mienne comme dans un manteau, la protégeait, la couvrait. J’étais transportée dans un autre monde, Jacques, Antoine, Augustin et Stanislas étaient loin très loin. Je sarclais indubitablement mais mon esprit était sur un chemin qui m’éloignait d’eux et qui me rapprochait de lui.

J’entendis mon nom, mon mari m’appelait, me hélait , me ramenait à la raison. Au soir ce foutu champs était propre, mes mains qui avaient arraché des chardons étaient ensanglantées et j’avais le dos brisé.

Pour sûr une autre journée commença pour moi, car il me fallait nourrir les hommes et m’occuper de ma petite sœur et de mon bébé. On me fit grâce de la traite.

Pas un seul des mâles ne parla de l’altercation du champs, c’était histoire passée, Marguerite sera réutilisée et surtout payée. Moi pleine des flagrances d’Aimé je m’ouvrais à mon mari pour un câlin que je ne lui destinais pas.

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