Papa broyait un peu du noir depuis que son épouse était partie, le soir nous l’entendions Stanislas et moi, se retourner sans cesse, parfois il gémissait même dans son sommeil. Le temps à n’en pas douter ferait son office pour apaiser son chagrin. Le père n’était pas homme à se morfondre longtemps.
D’autant qu’au mois de mars le travail ne manquait pas sur nos terres. Les hommes commencèrent par terminer le labour. En général toutes les terres étaient retournées à cette époque, mais une petite pièce particulièrement humide n’avait pu être conquise par la charrue.
Le Stanislas sortit donc les bœufs avec Aimé et de bonne heure partit sur son lieu de travail, toutes nos terres étaient à proximité immédiate de la Gaborinière, ainsi tout le monde rentrait pour la pause méridienne. Dès fois papa gueulait quand les hommes s’attardaient à table mais en général mus par l’habitude tous mangeaient rapidement pour reprendre.
Mon père ce matin là était parti en chantant vers un bout de vigne qu’il voulait tailler, il emmena Victor car ce dernier malgré son jeune age avait de la pratique pour ce genre de chose. Le patron qu’était mon père répugnait à avouer qu’un domestique de ferme sache mieux que lui, et lui en remontre, mais en fils de vigneron Victor savait y faire alors pourquoi ne pas faire confiance.
Papa produisait un ignoble petit vin blanc qui à n’en pas douter ne faisait pas grand mal. Moi je n’en buvais plus depuis la fois ou je m’étais faite piégée par un oncle et un cousin dans une cave près de Saint hilaire du Talmont. Les deux compères m’avaient fait boire et sans que je m’en rende compte j’étais grise. J’avais dit beaucoup de bêtises et le cousin en avait profité pour me toucher avec ses sales pattes. L’aigreur de ce vin m’avait bousculé les entrailles et il s’en était fallu de peu pour que je ne me fasse dessus. J’avais eu également une belle migraine et pour couronner le tout ma mère qui avait deviné le manège m’avait mis une royale paire de gifles devant la maisonnée. Comprenez que maintenant je ne me fasse plus avoir, Stanislas aurait bien voulu me voir un jour saoule et me proposait régulièrement une chopine. C’était vraiment curieux qu’il veuille me voir ivre mais j’avais ma petite idée. Mon mari était un fieffé coquin et un fieffé vicieux.
Mais revenons aux quelques pieds de vignes de mon père, il en était fier comme Noé des siens. J’espérais que cela allait mieux finir que dans la bible. Bien que ce racontait le curé au sujet de l’ivresse du père de l’arche était très confus.
Bref comme chacun des métayers vignerons , il cultivait sa vigne comme il aurait cultivé sa femme, avec amour et régularité.
Il n’y avait pas que la taille il fallait aussi effectuer le premier labour de la parcelle, bien qu’elle fut minuscule mon père avait requis l’aide de mes deux frères. Avec une bêche le rendement n’était pas très fort car la terre collait encore beaucoup.
Pendant que nous y sommes je vais parler un peu de mon frère Antoine Jean. C’est sans conteste le premier homme de ma vie. Seulement âgé de deux ans de moins que moi nous avons grandi ensemble. J’étais sa grande sœur mais je le couvais comme une mère. Il avait cinq ans à peine quand elle est morte et pour lui comme pour moi ce fut un grand vide. Alors tous les deux on forma comme un petit couple, je couvrais ses bêtises et il tentait d’atténuer les miennes. Ce n’était pas un bon compromis car il en faisait plus que moi et plus d’une fois j’ai eu les fesses rougies alors que je n’avais rien fait . Plus tard il fut le témoin impudique de ma transformation en femme, ce n’était pas très chrétien tout cela mais comme nous avions toujours tout fait ensemble nous n’avions pas vu le mal. J’en avais du reste parlé au curé, mais là je préfère garder le silence sur sa réaction.
Bon d’accord il ne fut guère content, j’étais la plus vieille et j’étais responsable, immorale, incestueuse m’a t’ il dit. Je ne comprenais guère ce qu’il me disait, mais je repartais de la confession en pleurs avec des tas de prières à marmonner. Pour faire simple mon frère ne devait plus voir une parcelle de mon corps. Il en fut fait ainsi mais quand à lui il ne se gêna guère pour exhiber le sien. J’avais beau fermer les yeux je les rouvrais aussitôt.
Je vous passe les détails mais rien de mon frère ne m’était étranger, son corps, son âme.
A l’heure où je vous parle c’était un fort bel homme, grand pour un vendéen, musclé par le travail des champs. Brun de peau mais curieusement presque imberbe, ses yeux étaient de couleur noisette. Le nez qu’il avait assez long lui donnait comme un air de fouine. Mon petit frère se moquait souvent de l’appendice de son frère aîné en le comparant à la grosse branche du vieux cerisier du jardin. Cela finissait toujours en bagarre et le petit se prenait souvent une dérouillée de s’être moqué du nez royal de l’aîné des Herbert.
Moi je dirais qu’il était plutôt beau et les femmes au village confirmaient mes dires. D’ailleurs je crois qu’une drôlesse s’était prise dans ses filets et qu’une demande serait faite dans l’année. Il n’avait pas toujours bon caractère et Stanislas disait que c’était un foutu con mais bon les jugements de mon mari sont toujours emprunts d’exagération.
Moi je le trouvais intéressant, beau, travailleur et honnête, mais je l’aimais tellement que mon avis sur lui n’était pas très partial. Rien que des qualités, non pas que, sa dureté envers les valets de ferme était scandaleuse, il en avait toujours après eux et Aimé était le premier à se prendre des horions.
D’ailleurs je ne tarderais pas c’est sûr à prendre la défense de ce jeune homme quoi qu’il m ‘en coute auprès de mon frère.