UNE ANNÉE DE LA VIE D’UNE FEMME, Semaine 10, la mi carême

La mi carême

J’avais rompu mon carême de pénitence le soir de la mort de Marguerite, je vous ai déjà expliqué pour quoi.

Maintenant nous arrivions à la mi-carême et l’église nous permettait une pause dans notre jeûne et dans tout le reste.

Je ne sais si cette clémence était le fruit d’une réelle volonté de soulager les fidèles d’une abstinence trop dure ou bien d’un assouplissement fait pour retenir les paroissiens en une foi qu’ils commençaient à réprouver.

Mon père lui disait que les curés il faisait cela pour qu’on écoule nos œufs qui sans cette interruption de jeûne se perdraient. Quoi qu’il en soit ce jour allait être une fête, bombance, carnaval et amusement entre mari et femme.

Mon mari ce jour là ne tenait pas en place et il me rejoignit dans l’étable. Je ne savais si je pouvais rompre mon carême avant la messe, mais Stanislas se fit fort de me persuader.

Je ne fus pas particulièrement réceptive et il s’en plaignit. Je me demande un peu, serait il maintenant exigeant?

De toutes façons je n’avais pas la tête à cela, je devais préparer ma pâte à crêpe avec nos œufs et également préparer une plâtrée de choux au lard .

Il y avait une messe le matin et je comptais m’y rendre, je pris Marie avec moi et la conduisis à la vélisière pour la déposer. Après je me suis rendue à l’église en compagnie de Louise.

J’étais la seule personne de la Gaborinière à me rendre à l’office, pour les hommes ils n’en étaient pas question.

Mes jeunes frères se devaient avec les autres du village d’aller casser de la vieille. C’est à dire de se défouler sur une personne âgée. Une sorte de défouloir pour refouler la dureté des temps et du carême. Cela n’avait rien de physique,quelques chansons , des quolibets.

Il n’y avait rien de méchant envers nos aînés, la vieille représentait la vieille année, c’était la dame hiver que l’on sciait en deux. Bien sûr le semi anonymat des masques ou des inversions de vêtements entretenaient une sorte d’impunité et des exagérations se faisaient jour.

Ce n’était en fait qu’une occasion de faire la fête. Les groupes passaient ensuite dans les fermes et les métairies pour y boire un coup et manger un morceau. A la fin de la journée tous étaient ivres et certaines drôlesses commettaient des indécences avec les garçons. J’espérais que mes frères se conduisent bien ainsi que nos deux domestiques qui faisaient un peu partie de nous.

A la Vélisière j’ai croisé Victoire, nous nous sommes toisées. Mes yeux ont lancé des éclairs de haine, elle m’a répondu par un regard de moquerie. Sans mon amie je lui aurais fait son affaire et je lui aurai fait ravaler son insolence à cette voleuse d’homme.

Louise me fit remarquer que je n’avais aucune preuve. Il n’empêche que je me voyais bien lui soulever le jupon pour la fesser devant tout le village réuni.

Ce n’était qu’un rêve bien sûr, mais cela nous égailla tout le long du chemin, oubliant toutes pruderies, telles des filles des bas quartiers, on se livra à toute une mise en scène imaginaire, graveleuse et coquine.

On emprunta le grand chemin qui mène à Talmont , les femmes de Bel Air puis de la Grignardière nous rejoignirent, saluts, embrassades.

Cela fit un joli cortège, des femmes de tous les ages. Les plus jeunes iront tout à l’heure retrouver les garçons ou plutôt ceux ci les attendront sur la place à la sortie de la messe. Évidemment il n’y a pas que des femmes à l’église mais la désaffection pour la foi vient surtout des hommes. Mon père durement touché par son deuil disait encore ce matin qui si Dieu existait il n’aurait pas laissé partir sa femme. Quel blasphème, je me signais aussitôt mais oui pourquoi je me posais moi aussi la question.

En route on croisa une bande de jeunes excités, ils portaient des masques de déguisement on eut dit des sauvages. Ils nous bousculèrent un peu, nous racontèrent des sottises, rien de bien méchant, ils sont jeunes et moi je m’estime l’être encore. Ce n’est pas parce que je suis femme et mère que mon envie d’amusement m’est passé.

L’office en cette mi carême n’avait rien de bien particulier, ce n’était pas une fête religieuse. Il n’empêche que nous étions nombreux sous les voûtes à entendre le sermon du père, qui bien évidemment portait sur le respect du carême. Louise me chuchotait que cette interdiction avait tendance à décupler les sens de nos hommes et qu’il faudrait plus d’un sermon pour que son mari la laisse tranquille.

Bien sûr il n’y avait pas de mariage en cette période, alors mieux valait ne pas avoir de situation à régulariser. Outre la mi carême l’église dans sa grande prévoyance avait assoupli notre pénitence les dimanches. Autant vous dire que dans les métairies les hommes étaient à l’ouvrage.

 

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