UNE ANNÉE DE LA VIE D’UNE FEMME, SEMAINE 6, Un ange au paradis

Un ange au paradis

J’étais épuisée, alors je dormis, mais d’un sale sommeil, troublée, agitée. Je voyais Marguerite le sexe ouvert jusqu’à la poitrine se vidant de son sang. Stanislas râla de me voir tant bouger. Ma petite quémanda aussi la tétée. Le lendemain j’étais épuisée comme si l’on m’avait attelée à une charrue à la place des bœufs.

Immédiatement j’allais voir ma belle mère, c’était une vraie misère, son pansement était sale. Je dus aller quérir une voisine aux grandes Vélisières pour m’aider à changer les draps.

Marguerite nous regardait d’un air navré et l’on sentait qu’elle se maudissait de son état de dépendance. Le bébé était vivant c’est tout se que je pouvais en dire et l’on devait le faire baptiser au plus vite.

Il fut convenu que mon père irait déclarer sa fille à la mairie en compagnie de René Delhoumeau et de Jacques Caillaux et qu’en suite nous irions à l’église. Je demandais au père de ne pas traîner en route ou au cabaret car la petite je ne la voyais pas vivre.

Cela aurait été un péché que de la laisser sans baptême la pauvre petite. Mourir maintenant, la conduirait dans les limbes, je ne me rendais pas compte de cet état intermédiaire entre l’enfer et le paradis mais cela me faisait peur.

Dans l’après midi notre curé à la satisfaction de tous, nous baptisa la petite qui fut nommée Aimée Esther.

Dans la tempête de l’accouchement nous n’avions pû préparer un gâteau pour partager à l’issue de la cérémonie. Mais bon, chacun comprit et un verre de blanche fit tout aussi bien l’affaire.

Mon père pour ne pas gêner sa femme s’installa un grabat dans la grange avec les valets, on le sentait malheureux de la tournure des choses.

En attendant moi je dus faire téter ma petite sœur, elle ne voulait rien prendre que c’en était inquiétant. Je devais aussi faire manger ma belle mère, comme une vieillarde. Je me demandais si je ne devais pas profiter de son état de faiblesse pour me venger de sa méchanceté, ce n’était pas très chrétien mais sûrement humain.

Compatissante du moins en apparence je décidais d’attendre quelques jours pour lui en faire baver.

Nous ne pouvions attendre rien de bon de tous ces événements, le bébé et la mère n’allaient pas bien et Stanislas et moi l’on se demandait qui allait partir en premier.

Mon père lui était confiant, il ne se préoccupait guère de sa fille, mannequin de chair, jaune emmailloté, nauséabond et petite quantité négligeable.

Par contre pour sa jeune femme il déployait une tendresse que nous méconnaissions, chaque soir il se tenait à son chevet et lui susurrait des mots doux et d’encouragement.

Papa avait récupéré le placenta et l’avait enterré au pied du vieux poirier, pour lui par ce geste,tout irait bien, prospérité, santé. J’aimais les signes du destin et croyait en toutes sortes de choses mais là symbolique de celui ci me déconcertait et je n’y prenais guère attention.

Mes nuits suivantes ne furent pas meilleures, il planait dans la pièce un parfum de malheur que je n’aimais pas.

Le treize février je me levais comme les autres fois la première, mon mari sur son séant constatait avec admiration une manifestation matinale et m’invitait à profiter de l’aubaine.

Mon bébé dans son berceau dormait tranquillement.

J’allais voir Marguerite qui elle aussi sommeillait encore, vaincue par la fatigue car toute la nuit elle avait râlé. Mais au fond du second berceau, yeux grands ouverts, le petit être fripé de la veille s’était mué en un poupon de cire. Ses traits plissés étaient maintenant beaux et lisses. Sa bouche grimaçante et tordue affectait maintenant un joli sourire.

Je pris ma sœur, confiante et heureuse de cette stupéfiante métamorphose.

Alors que je m’apprêtais à lui déposer le premier baiser de sa toute nouvelle existence, l’impression fugace que quelque chose n’allait pas m’arrêta.

Aucun souffle perceptible, une peau d’un blanc de chandelles et une rigidité de bûche, j’ hurlais. Mon cri fut terrifiant venu des tréfonds de mon corps. Stanislas se leva en catastrophe, Thérèse se redressa d’un bon dans sa couche et mon père de sa grange arriva en courant.

Le bébé, ma petite sœur était passée, même si nous nous y attendions l’affliction se voyait sur nos visages. Mon père qui pourtant en avait vu d’autres, était comme détruit, je crus même voir couler sur ses joues noires de barbe une larme salée par la peine.

Seule la mère presque moribonde ne sembla pas réagir à la situation.

Chacun fit ce qu’il avait à faire, Stanislas alla commander les valets et mon père prévint ses amis et voisins ainsi que la famille.

Ce furent les mêmes que pour la naissance qui déclarèrent le décès. Le maire avait l’habitude de ces décès prématurés, il apporta un peu de réconfort à mon père en lui témoignant son amitié.

Le curé fut aussi prévenu et les cloches des morts sonnèrent, tout le village sut que la mort avait frappé à la Gaborinière, mais heureusement ce n’était qu’un enfant nouveau né.

De toute façon vue son jeune age son accession au paradis était normalement acquise.

Moi dans ma pièce avant garde du sépulcre j’étais bien seule. Un mère presque morte a qui je dus annoncer la mort de sa fille et qui n’eut aucune réaction, mon bébé et ma petite sœur Thérèse qui du haut de ses quatre ans voyait son premier mort, faisaient là toute ma compagnie.

La petite morte gisant en son berceau attendait sa toilette. C’est le premier valet qui pénétra se silence en premier, vous voulez de l’aide maîtresse me dit-il. Ces simples paroles me redonnèrent un peu de courage et je lui souris. Bizarrement nos mains se frôlèrent, ce contact avec cet enfant presque homme provoqua en moins un petit quelque chose que je me devais immédiatement enfermé au plus profond de moi.

Puis les femmes arrivèrent de partout, Aimée Esther, comme on avait pas eu le temps de l’appeler fut préparée pour son dernier voyage. Son petit corps frêle fut lavé et ses minuscules orifices bouchés. Le drap linceul un peu jauni dont elle était entourée et sa peau blanche maintenant diaphane faisaient contraste dans les rayons de lumière du soleil montant.

Petit enfant, petit convoi, nous suivîmes le prêtre jusqu’au cimetière. On enterrait les petits anges dans un carré où poussait une herbe tendre et verte, des petits monticules non tassés indiquaient la place des précédentes inhumations. De loin la petitesse de cette terre soulevée pouvait faire croire aux travaux d’une grande famille de taupes.

De la terre à l’oubli, le temps ne serait pas long, tous repartirent à leur tâche, y compris mon père qui peut être noya une souffrance interne en se trouvant un labeur non immédiatement nécessaire.

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