UNE VIE PAYSANNE, ÉPISODE 65, une triste déchéance

Félix Médéric Groizier

hameau de Pilfroid

Commune de Verdelot

1904

A pilfroid le monde avait bien changé, j’étais le dernier de la famille Groizier a habiter ici. Je savais que je n’y habiterais plus très longtemps, un vague pressentiment me tenaillait en permanence et je redoutais le soir de me coucher, je restais là à traîner dans le noir à me chauffer devant un restant de braises.

J’observais par ma petite fenêtre l’activité qui régnait chez mes voisins. Je me délectais de cette innocente marotte. Il y avait tout d’abord le Frédéric Delaitre et sa femme la Zoé, ils avaient le même age que moi et avaient vu les mêmes choses. Avec lui je parlotais toute la journée et nous allions au village boire une chopine. Moi quand je rentrais gris je n’avais plus personne pour m’engueuler mais lui la vieille Zoé qu’est-ce qu’elle lui passait. Cela me rappelait qu’un jour la mégère je l’avais collée d’un peu près et qu’elle ne m’avait pas repoussé.

Un acte sans importance , une impulsion animale, maintenant à la voir je vous garantis que je ne la serrerais plus, un vieux pied de vigne tout desséché et rabougri.

La zoé avait comme amie Alexandrine Dutillet, sur leur banc ces deux commères refaisaient le monde. Rien que des vieux à Pifroid, pas loin car Félicité Fusier avait dépassé les quatre vingt ans. Je le connaissais moins que Delaitre mais bon sa poire était bonne et il avait le vin gai.

Les plus intéressants, était la famille Hennequin, le père Alexandre était ouvrier agricole comme on disait maintenant, il était au chômage c’est à dire qu’il ne travaillait pas. Moi je vous garantis qu’à soixante ans, du boulot j’en avais, d’autant que son fils un bon rien celui là ne faisait rien de ses vingt ans.

Mais mes yeux n’allaient que vers la dernière maison celle d’un autre Hennequin, le Félix travaillait chez Verdier à l’Aulnoy pas cossard celui là. Sa femme Ernestine faisait quand à elle les délices de mes vieux jours. Mon dieu qu’elle était belle ou du moins c’était l’image que je m’en faisais, rien de ce qu’elle faisait dehors ne m’échappait. Je jouissais du spectacle lorsqu’elle remontait l’eau de son puits et que sa poitrine sous l’effort semblait sortir de son corsage. Je la voyais quand le matin elle jetais son pot, elle regardait à droite à gauche comme pour ne pas se faire voir. Moi je m’imaginais bien le spectacle. Cela me suffisait pour me rendre heureux. Les petits de cette nombreuse famille venaient jouer sous ma fenêtre, d’entendre des cris d’enfants animait le hameau qui sans cela serait une avant cour du cimetière de Verdelot.

Il restait aussi au fond du quereux la famille Viet, le Clément lui aussi était au chômage, décidément à Pilfroid c’était un métier. Sa femme Joséphine était la petite fille de Nicolas Perrin et donc une petite cousine de ma défunte femme. On se saluait mais je ne les fréquentais pas en tant que famille.

Mon environnement était réduit mais je m’en satisfaisais, jamais je n’aurais été à Sablonnières chez ma fille ni à Bellot chez mon fils.

Mais dans la vie on ne fait pas toujours ce que l’on veut, un jour je fus pris d’un coup de faiblesse, plus rien n’allait , mes jambes ne me portaient plus, ma tête me tournait, je dus rester au lit. Ce fut Zoé qui ne m’apercevant pas sur le pas de ma porte entra chez moi et me trouva alité. Ils furent tous très gentils et l’on s’occupa de moi. Mais bientôt la solidarité des voisins ne fut plus suffisante et Hennequin envoya son jeune fils faire prévenir ma fille que j’étais au plus mal.

Avec Perrin elle vint me voir et fit venir un médecin. Le diagnostic fut sans appel, je me remettrais peut-être mais en attendant je ne pouvais rester seul. On me monta avec peine dans la charrette de mon gendre et on m’emmena à la Belle étoile la petite ferme où le Jules jouait les tueurs de chevaux en fin de vie.

Mon état ne s’améliora pas et ma fille fut contrainte de me donner la becquée et de me laver le cul, quelle déchéance et quelle humiliation. Au fond de moi j’avais décidé d’abandonner la partie, j’étais mort. Je n’espérais qu’une chose que l’on m’enterre à Verdelot avec ma Marie Louise et non pas dans le cimetière de Sablonnières qui m’était inconnu.

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