Commune de Verdelot, département de Seine et Marne
Année 1883
La mort du vieux n’était plus qu’un lointain souvenir, je n’avais plus mes parents et mon mari n’avait plus les siens.
C’était libérateur car nous n’avions plus à nous préoccuper de ce qu’il fallait bien appeler une charge mais aussi inquiétant car nous aussi on avançait en âge et notre tour approchait.
D’autant j’en étais sûre, nos propres enfants penseraient exactement ce qu’on avait pensé. J’en avais à vrai dire un peu froid dans le dos.
Je n’avais aucun enfant de marié mais ils étaient tous partis de la maison, enfin pas très loin tout de même. Cela faisait une drôle d’impression de se retrouver seuls. Le soir mon homme tardait souvent à rentrer. Je savais ce qu’il en était, lui n’aimait pas les maisons vides alors il prolongeait sa vie en extérieur, cela aurait pu me convenir mais souvent il revenait saoul.
Ce n’était qu’une question de quantité, il pouvait être gentil, mais aussi très méchant. Quand il était simplement éméché il avait l’amour gai. Je l’entendais arriver en chantant, puis souvent il me disait des bêtises, me susurrait des cochonneries. Il me prenait par la taille me pinçait, ce n’était qu’un jeu , une joute amoureuse. Je savais comment cela se terminerait, inévitablement. Satisfait il me laissait là pantelante, la plupart du temps j’étais heureuse de cette brièveté mais quelques fois le plaisir me venait et là je n’étais qu’insatisfaction et frustration.
Parfois monsieur était ivre mort, j’avais de la chance quand il s’endormait dans son assiette, sinon il devenait violent. Tous les prétextes étaient bons, la soupe était froide il me la jetait au visage, un objet n’était pas à sa place et c’était la crise. Il me prenait par les cheveux, me giflait.
Parfois il défaisait sa ceinture et je savais alors que j’aurais des traces pendant plusieurs jours.
Il n’était plus question d’amour, il me forçait comme un soldat une putain. J’avais mal mais que faire nous subissions. Le lendemain il avait oublié, était gentil alors je lui pardonnais. Puis il recommençait, c’était cela ma vie. Heureusement le temps des grossesses était passé pour moi, alors les ardeurs sexuelles de mon ivrogne de mari étaient moins graves.
Un jour il fut bien malade et comme il ne tenait plus debout il fallut bien qu’il se couche. Il se retrouva dépendant de moi pour tout, c’était du travail en plus pour moi mais j’avais ma petite vengeance. J’ai quand même bien cru le perdre et là je me suis dit que ce gros rustaud au visage bouffi pourrait sacrément me manquer.
Mais la maladie de Médéric nous laissa sans le sou, car sans travail évidemment nous n’avions pas d’argent. Heureusement la solidarité villageoise nous sauva quelque peu. L’un nous donnait des légumes, l’autre du pain et encore un autre des noix. On puisa dans nos réserves de viande de cochon salé et l’on put faire la jonction. Je ne sais si c’est le travail ou le vin qui avait manqué le plus à mon mari, toujours est-il, qu’il recommença ses périples éthyliques.
On fut aussi confrontés à la honte.
J’avais deux filles Louise Aimée l’aînée et Marie Clarisse. La première plus âgée voyait un de nos voisins. Je ne savais pas encore lequel mais je finirais bien par l’apprendre. La diablesse avait le feu où je pense et je craignais pour sa réputation. Mais à surveiller l’une on néglige l’autre. C’était un dimanche et nous faisions toilette, les garçons avaient-été conviés à sortir et nous nous retrouvions entre femme. J’ai bien vu qu’il y avait un problème Marie n’était pas comme d’habitude. Chaque semaine la toilette était pour mes filles un jeu, elles s’aspergeaient, se jetaient les serviettes, exposaient leur jeune nudité. Elles étaient souvent indécentes et il fallait que je me fâche pour qu’elles ne se mettent pas toutes nues. Ma mère m’avait appris à me laver morceau par morceau et jamais je ne quittais ma robe, la relever suffisait bien nous n’étions pas des catins.
Mais ce jour là ma fille faisait la mijaurée, se cachait de moi et de mes yeux de femme, Louise qui savait tenta de me masquer la vérité, mais ces deux là n’étaient pas très douées. Le ventre de Marie portait j’en étais sûr un fruit, d’ailleurs ses jolies seins s’étaient alourdis foi de femme, la diablerie était pleine.
Je lui mis une belle paire de claques qui l’a surprise autant que moi, elle restait devant moi ébahie la poitrine à l’air.
Je ne sus que dire et je ne sus quoi faire. Nous pouvions encore à ce moment ne rien dire aux hommes et agir entre nous.
Secret de femmes en quelque sorte, je tentais de lui faire avouer la vérité, qui était le père
A Verdelot une femme était spécialiste et je lui conduisis ma fille. Dans une chambre la matrone experte fit ce qu’il fallait et délivra ma petite, la réputation de la famille était sauve.
Mais en fait j’avais été leurré de belle manière car quelques jours après mon aînée vint me trouver en pleurant, elle aussi était enceinte. J’en restais les bras ballant, les salopes, les trainées, me faire cela.
Louise comme sa sœur ne voulut rien dire, j’espérais que ce ne fut pas le même homme qui avait défloré ces deux grandes niaises. Nous retournâmes voir la faiseuse d’ange, mais cette fois son œil acéré et ses mains crasseuses mirent un autre diagnostique. C’était trop tard.
Il fallut l’annoncer au père et croyez moi ce fut une belle empoignade. Il lui mit d’abord une sacrée correction, les coups volèrent, il voulut la jeter dehors toute nue pour l’humilier et tenta de lui arracher ses vêtements. Il serait sûrement arrivé à ses fins si le jeune Jules alerté par les cris et le vacarme n’avait franchi d’autorité le seuil de notre porte.
Mon mari se calma et nous fîmes face à la honte. Certes cela arrivait souvent et beaucoup de ceux qui rigolaient derrière notre dos avaient des misères de mêmes .
La garce mit son bâtard au monde le 9 octobre 1883, croyez vous que le vilain chiard soit mort, non il était bien vivant et gueulait pour réclamer sa pitance laiteuse.
Mes deux filles n’étaient plus pucelles et l’une était chargée d’un marmot, pour sûr elles allaient restées vieilles filles.