Louis Patoux
commune de Gault département de la Marne
Année 1868
Non de dieu où ai-je mis mon tabac, toujours la même rengaine, je ne me rappelais de rien. J’oubliais tout des petites choses de la vie, je disais bonjours à une personne alors que je l’avais croisée plusieurs fois.
Bref je n’étais plus bon à grand chose, fendre les lattes n’était qu’un lointain souvenir, pousser la charrue, manier la faux n’étaient que de l’histoire ancienne.
J’étais là sur mon banc à regarder le monde défiler devant moi, un monde qui ne m’appartenait plus. J’étais là mais j’étais mort, je regardais défiler la bobine du reste de ma vie. Elle n’était plus bien grosse, l’écheveau serait bientôt vide.
Les gens me saluaient , respectueux, certains les plus vieux m’adressaient encore la parole, mais à quoi bon je n’avais plus rien d’intéressant à dire. Mes souvenirs, mon expérience tout le monde s’en moquait, les jeunes savaient mieux que nous.
Alors à quoi bon persister dans une vie qui se dérobait, je me levais le matin, lapais ma soupe avec un peu de pain dedans. Je mangeais chichement, l’appétit était parti avec ma vitalité et avec ma femme. Lorsqu’il me prenait l’envie je me mijotais un lapin, cela me faisait la semaine, car oui je savais cuisiner même si c’était affaire de femme. Moi je n’en avais plus alors il fallait bien se débrouiller.
Ce qui était pire, c’était les soirées, mornes, longues, froides et ennuyeuses. De temps à autre j’allais bien dans une des ces veillées mais ces commérages de bonnes femmes, ces ragots venus des feuilles de la capital m’exaspéraient.
La nuit il me prenait parfois le geste de toucher si Catherine était là, non la place était froide, vide. Alors je me levais quelque soit l’heure et au chaud sous ma couverture assis sur mon fauteuil de paille je mirais la lune et les étoiles à travers la ramure des arbres qui croissaient dans la haie qui cernaient mon petit jardin. C’était beau et ce spectacle radieux sans cesse renouvelé illuminait un peu mon morne quotidien.
J’avais certes encore mes enfants, mais soyons clair ils ne me gratifiaient pas d’un amour filial à toutes épreuves. Il me semblait qu’ils avaient été plus tournés vers leur mère d’ailleurs Henriette me l’avait dit un jour, tu ne nous as pas élevés. Foutre connerie, je me levais chaque matin à l’aube pour pouvoir payer ce qu’elle se mettait sur le cul. Pardi que je ne l’avais pas torchée, je me crevais dans les bois pour nourrir cette marmaille affamée.
Je ne les voyais quasiment plus, mon fils aîné avait disparu de mon environnement, viendrait-il à mon enterrement?
Henriette ne me considérait guère et depuis qu’elle forniquait avec son patron elle se croyait en lévitation. Julie m’invitait parfois à Chatillon sur Morin pour un repas, son mari venait me chercher en carriole, j’y passais un moment agréable mais je doutais que ce fut réellement partagé. D’ailleurs ces bougres de couillons me croyant sourd avaient évoqué devant moi la lenteur de la venue de leur héritage. Cela m’avait un peu soufflé et j’avais refusé les invitations suivantes.
C’était dans Zoé que je puisais les dernières ressources pour continuer à vivre, elle habitait encore au village et son mari n’était pas trop con. Elle passait me voir, m’apportait des bricoles, non pas qu’elle soit venue tous les jours, elle avait quand même à faire.
Mes petites filles venaient également me faire des risettes comme si j’étais sénile. Bref une sacrée accointance que cette famille. Il me venait à regretter ma Clémentine la seule avec qui j’avais des affinité, cette idiote était partie nous plantant là comme des pauvres malheureux.
Il faut quand même dire que malgré ces passages, ces petites attentions, j’étais quand même bien seul. Il est néanmoins vrai que la solitude à mon age mène directement au tombeau.
Joseph Alexandre Napoléon Perrin
Commune de Montpothier département de l’Aube
Année 1868
J’étais jeune père de famille et je me coulais en les reins de ma charmante femme que je devais marier ma première fille.
Un jour Clémentine vint me trouver pour me demander l’autorisation de se marier avec un gars de Sancy les provins pauvre comme job mais riche du travail de ses mains. Je n’avais aucune raison spéciale de refuser et les noces furent programmées le 8 décembre 1868 . J’étais à mon bonheur retrouvé, mais j’avais une pensée pour ma pauvre Clémentine qui évidemment aurait été comblée par cette union.
Mais curieusement quand ma fille fut repartie heureuse de mon consentement je me remémorais le visage de ma mère sur son lit de mort.
C’était bien irrationnel qu’un mariage vous fasse revivre un décès mais bon l’esprit humain est tortueux alors pourquoi pas.
Maman nous avait quittés sans crier garde juste avant les vendanges de 1866, je veux dire par là qu’elle s’était éteinte pendant son sommeil sans que nous imaginions une seconde qu’elle allait passer. Pourtant c’était bien une évidence elle était née alors que le roi Louis XVI faisait encore de la serrurerie à Versailles et que l’Autrichienne qu’on avait décollée en 1793 roucoulait avec un gentilhomme Suédois.
C’était ma plus jeune sœur celle qui est mariée à un manouvrier de Verdelot qui l’avait découvert roide comme un banc de pierre. Il paraît qu’elle avait un sourire aux lèvres et que ses traits étaient rajeunis. Il faisait une chaleur à crever ce jour là et tous décidèrent de l’enterrer au plus vite. Il était évident que je ne pouvais pas arriver à temps alors on vint me prévenir que le lendemain. Quand j’ai vu arriver mon beau frère j’ai cru qu’il était arrivé malheur à ma sœur. Je fus presque soulagé d’apprendre que ce n’était que ma mère. Enfin ce n’est qu’une expression ma mère avait quatre vingt six ans alors c’était dans l’ordre des choses.
Quelques temps après je suis retourné dans mon village natal pour signer des papiers chez le notaire. La mort de la mère ne nous apporta aucune richesse, mes sœurs se disputèrent pour quelques jupons et moi ma foi sans trop savoir pourquoi je ramenais un pot de chambre et un vieux plat en étain. Quand je suis arrivé à la maison ma femme m’a regardé d’un air dépité en me disant je pisserai jamais derrière ta mère fout moi cela dans la grange.
Avant de partir j’avais quand même été sur la tombe de ma mère, celle de mon père était perdue à tout jamais car nous n’avions même pas pris la peine de mettre une croix de bois sur le monticule de terre.
Je revis ma famille au mariage de ma fille car elle avait voulu que les choses soient grandioses.
Car on jugeait de l’importance de la famille au nombre d’invités. Vu la foule cela allait lui couter drôlement cher, mais enfin c’était sa bourse.
J’étais venu avec ma nouvelle femme et ma fille ne l’avait jamais vue. Par contre je n’avais pas emmené ma petite fille de trois ans car le voyage à pieds était très long.
On passa plusieurs jours de félicité, c’était une noce heureuse et j’espérais qu’il en serait de même pour leur vie.
Ma fille qui était domestique à Bricot la ville allait quitter cette emploi et venir trimer sur les terres de Sancy lès Provins. Mêmes sueurs, mêmes peines mais sur une autre terre,de plus ma fille allait goûter les joies d’une vie avec des beaux parents. J’en rigolais dans le restant de mes dents. Il fallut refaire le chemin en sens inverse, il fallait traîner Jules qui sur ses frêles jambes d’enfant avait bien du mal à nous suivre.
Nous en avions parlé pendant la fête, il existait maintenant un engin qu’on appelait chemin de fer et qui sans doute allait relier toutes les ville entre elles. Pour l’instant moi j’en avais pas vu et à Montpothier il n’y avait pas trace de voie ferrée.
Mais nous savions bien que cela existait car bon nombre de manouvriers avaient quitté la terre pour poser les rails et faire les travaux.