UNE VIE PAYSANNE, ÉPISODE 43, Mariés et amants

 

Clémentine Amélie Patoux, fille de Louis Alexandre et de Catherine Berthé

Gault département de la Marne

1848.

Qu’il était beau ce berger sauvage, les cheveux blonds, sous son beau chapiau ,s’épandaient en longues mèches sur ses épaules larges et musclées. Sanglé dans son costume neuf, scrutant de ses yeux d’acier la famille et les amis qui se rassemblaient en cortège pour nous porter vers la maison commune et l’église paroissiale. Il leurs souriait à tous et leurs délivrait tout l’amour qu’il avait en lui.

Sa mère de noir vêtue petite femme déjà dans un autre monde, hiératique aux choses qui l’entourent, ouvrait le long serpent de la famille de mon futur, Nicolas l’aîné, traits durs, déjà marqué par le travail des champs donnait le bras à sa femme Virginie . Ils étaient là en voisins, Bergère sous Montmirail ce n’est pas si loin. Auguste Perrin le deuxième frère qu’on nommait affectueusement Rose car c’était son premier prénom discutait de culture avec mon frère Thomas, leurs femmes qui visiblement avaient fait connaissance, bavardaient de tout et de rien.

Puis Denise et son gros mari, remarquez elle ne le dépareillait pas non plus, on eut dit deux futailles roulant sur un chemin pentu.

Marie Louise, la petite insolente, mouvait son derrière redondant et magnifique au nez et à la barbe des hommes .

Henriette et Julie mes sœurs n’étaient pas au bras de leurs époux mais tentaient de donner au cortège une dignité bien difficile à obtenir.

Papa et maman fiers de tout ce tapage autour de leur progéniture dernière, se croyaient à la parade comme s’ils eussent défilés dans les jardins des tuileries acclamés par une foule envieuse et aimante.

Les violes bientôt m’enivrèrent et les deux cérémonies, civique et religieuse me laissèrent un souvenir teinté de bonheur.

Mon mari, beau, prince charmant, roi en majesté, seigneur de la fête me fit virevolter toute la journée. Aussi bon amant que bon danseur il prit mon offrande maritale avec douceur.

Tout ne fut que merveille, j’espérais que mon mari pour le pire comme pour le meilleur n’était pas le diable déguisé en ange vertueux.

La noce dura deux jours, agapes paysannes, exutoire à la dureté des temps, le vin coula et coula encore, mon père gris nous chanta tout son répertoire de chansons grivoises, ma mère fit grise mine mais chanta un couplet avec lui provocant l’hilarité générale et la réprobation de quelques veuves en bout de table. La mère de Joseph pinça du bec comme elle devait pincer du cul dans la vie, mais peu nous importait, temps joyeux et insouciant.

Après la noce on s’installa à Chatilllon sur Morin, je régnais en princesse sur ma petite maison, pour la première fois de ma vie je vivais en mon chez moi, seule, sans frère et sœur et surtout sans parent.

Joseph rentrait souvent tard le soir, je l’attendais à la lueur de l’âtre, la soupe était chaude.

Il était plutôt taiseux mais son sourire me suffisait, nous étions libres de faire l’amour comme bon nous semblait, il me faisait hurler. Nous n’étions pas que mari et femme nous étions amants.

Marie François Isidore Groizier

Commune de Verdelot département de la Seine et Marne

1848

Au village une sorte de fièvre s’était emparée de la population depuis que les nouvelles du soulèvement du peuple parisien étaient arrivées. Tout le monde courait partout et commentait les événements récents.

Bien sûr les avis étaient partagés et le ton montait, le Joseph Morigneau notre maire qui craignait sans doute pour sa place engueulait le vieux Garnier, le garde champêtre qui se demandait si il devait crier les événements récents.

C’était un peu la panique, personne en vérité savait exactement ce qui se passait à Paris, une révolution oui mais qui avait pris le pouvoir.

François laboureur le curé se mettait à espérer d’un retour sur le trône des légitimistes en la personne de Henri V, l’instituteur Pierre Lemaire n’était pas d’accord avec lui et désirait la république. Le ton montait et au milieu de la place il était cocasse de voir ces deux autorités morales se disputer comme sur un champs de foire. La Hyacinthe, domestique du curé dont tous disaient qu’elle était madame la curé en rajoutait et se querellait avec Virginie Boulet l’épicière qui elle avait trouvé la monarchie bourgeoise de Louis Philippe à son goût.

Le village était au bord de l’émeute et l’on en serait bien venu aux mains si Théodore Martin le géomètre et adjoint au maire par son tempérament n’eut calmé l’assemblée.

Le jeune Hurand trou du cul de vingt ans qui se croyait arrivé en tenant sa minable auberge se prenait de gorge avec Deletain le charron et Rémy Louis le maréchal ferrant. Cela faisait un beau raffut d’autant qu’Andréa la femme de l’aubergiste se pelait aussi de politique.

Depuis quand les femelles s’occupaient de cela, feraient mieux de s’occuper de leurs hommes qui avaient tendance à aller voir ailleurs.

Edouard Gramagnac le propriétaire du château de la Roche arriva à cheval pour avoir des nouvelles et s’entretint avec le maire.

Nous à Pilfroid avec Jean François Hardy on en discuta un peu puis on retourna à notre labeur, révolution ou pas, les moutons n’attendaient pas.

Finalement notre roi se sauva chez nos ennemis les anglais et la deuxième république fut proclamée par un dénommé Lamartine et un gouvernement provisoire fut instauré.

Tout redevint tranquille, les barricades furent enlevées, les gardes nationaux remisèrent leurs pétoires au râtelier.

Allions nous entrer dans une nouvelle ère, rien n’était moins sûr.

La saison de fabrication des tuiles approchait à grand pas et j’allais pour quelques mois échapper aux travaux de la terre que je n’aimais guère. Mais il fallait bien faire bouillir la marmite.

Les enfants étaient à la maison et me laissaient leur salaire, ma femme gérait correctement et je ne me mêlais pas de cela.

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