Catherine Berthé, femme Patoux
Commne de Chatillon sur le Morin, département de la Marne
Année 1840-1841
Ma deuxième fille Justine Alexandrine allait se marier, rien à y faire elle était éprise d’un berger du village qu’elle avait rencontré je ne savais comment. Toujours est-il que la Justine elle s’était jetée dans le lit encore chaud d’une morte. Je n’étais pas loin de penser que cela nous porterait malheur
En effet le berger était veuf et chargé de famille, un garçon lui était né 15 jours après qu’il se fut marié, je vous dis une drôle de famille pas respectable pour deux sous.
On avait été au mariage bien évidemment et le père Patoux avait donné son accord à contre cœur. Mais quitte à ce qu’elle se retrouve pleine autant le faire avec quelques règles et avec de la décence.
La Justine à tout juste vingt ans se retrouvait à couver le fils d’une autre, qu’on peut être sotte par amour.
Bientôt ce fut Henriette qui devint grosse de son bûcheron, mais des mauvaises langues colportèrent que le fruit n’était pas du bon arbre.
Il ne fallait pas compter sur Henriette pour nous avouer quoique ce soit, mais la population se moquait de son comportement et disait qu’elle avait la cuisse bien légère .
Ce n’était sûrement que pure médisance mais je n’osais plus mettre le nez dehors. Mes filles quand à elles supportaient avec stoïcisme les insinuations des garçons du village et les sales commérages de femmes sans doute jalouses.
Thomas lui était de moins en moins à la maison, ses noces se précisaient, avec sa petite ils avaient plein de projet dont celui de s’installer comme cabaretier .
J’étais offusquée que ma future belle fille se commette à servir du vin à des hommes ivres, excités et en chaleur. Mais si c’était leur choix je m’inclinais.
Henriette mis au monde son chiard, mon dieu comme il était vilain ,oui vraiment une punition divine pour sa conduite éhontée.
J’avais eu un peu de mal ces dernières années à m’habituer à mon nouveau village, la mentalité entre les deux bourgs était différente. De plus nous étions victimes de la méfiance qu’ont les gens de la terre pour les gens des bois. Nous étions pour eux des dépenaillés à la gueule sale, moitié sauvages moitié humains. Il fallut beaucoup de temps pour que je sois simplement acceptée. Les veillées nous les avons souvent passé seuls. C’est grâce aux enfants que nous avons enfin pu lier quelques amitiés.
Il est vrai aussi qu’Alexandre brisa la glace plus vite que moi, aidé en cela par les chopines du cabaret.
La vieille tomba définitivement malade, ce fut un véritable enfer . Pourquoi mettait-elle autant de temps à mourir. C’est toujours aux femmes que ce genre de corvée incombe, il fallut que je lui donne la becquée, à la cuillère que je l’ai nourrie alors que finalement elle n’était pas même ma mère. Pourquoi ne vivait-elle pas chez son autre fils ou chez sa fille. Mais mon mari arguant d’une dette d’honneur ne voulait en rien changer quoi que ce fut. Donc en bonne femme soumise j’essuyais le cul de sa mère mourante. Croyez vous qu’il se sentait redevable de quelques choses envers moi.
Le pire c’était mes devoirs conjugaux, jusqu’à présent même avec répugnance de la savoir à proximité je m’y résignais, mais maintenant que je la savais mourante cela me bloquait complètement . Alexandre se plaignait que j’étais sèche comme une poignée de sciure de bois.
Non vivement qu’elle parte, c’est vraiment une vilaine pensée que je me permis de soumettre en confession. Le curé s’en s’offusqua guère et me soumit à quelques récitations de prières sans conséquence. Par contre lorsque je lui expliquais que j’étais bloqué avec mon mari, il entra dans une telle rage que j’avais l’impression que le confessionnal allait s’effondrer.
Lorsque je sortis de l’église je me demandais si toutes les femmes du village ne me regardaient pas en rigolant et si tous les hommes ne se disaient pas, si c’était moi je saurais bien la faire hurler.
Alexandre allait rarement à l’église, alors il m’étonnerait que notre bon père lui ai parlé de mes préoccupations.
Le 8 septembre 1841 Marie Jeanne rendit son âme à Dieu. vous imaginez ,elle était née sous le règne de Louis XV. Elle en avait connu des mouvements mais les avait-elle seulement compris. La façon de vivre du milieu du 18ème siècle était bien la même que celle que nous vivions actuellement.
Monsieur le curé en lettré qu’il était, nous disait simplement qu’il y avait moins de disette depuis qu’on mangeait des pommes de terre et que la petite vérole faisait moins de morts depuis qu’on vaccinait.
J’opinais du chef chez nous, personne n’avait été vacciné et personne n’était mort. On porta en terre la grand-mère et le frère de mon mari versa même une larme. Si seulement il s’était occupé de sa mère pendant son vivant j’aurais compris mais là pleurer sur le corps d’une personne de quatre vingt six ans c’en était d’une indécence.
La morte libéra un lit, on changea la paillasse et Clémentine la plus jeune s’y glissa avec délectation car c’était la première fois qu’elle avait un lit pour elle seule.