UNE VIE PAYSANNE, ÉPISODE 38, Henriette, Denise et les autres

Louis Alexandre Patoux

commune de Chatillon sur Morin département de la Marne

Année 1837

J’avais effectué un tournant dans ma vie assez considérable, j’avais abandonné mes arbres, mes lattes et l’univers assez fermé des travailleurs des bois. Jusqu’à maintenant nous en vivions bien de ce labeur, mais visiblement les temps changeaient et je me persuadais qu’il fallait que je retourne à la terre et au métier de feu mon père.

A Gault tout tournait autour de la forêt, alors avec ma petite famille on s’exila à Chatillon sur Morin. Ce n’était pas très loin mais il ne se dégageait pas la même atmosphère. Il y avait bien entendu une forêt toute proche, qui s’appelait forêt de l’Armée. J’y avais aussi travaillé à mes débuts de fendeur de bois.

Avec mon fils Thomas on devint manouvriers, il y avait à s’employer et d’ailleurs ma femme put se louer aussi.

Parlons un peu de la Henriette qui m’avait fait tant hurler de rage et qui plus d’une fois avait menacé l’honneur de la famille. Elle s’était trouvée un galant et ce dernier avait demandé sa main.

Vous pensez bien que j’ai accepté, d’autant que les tourtereaux roucoulaient au delà des convenances. Le futur était bûcheron, un homme des bois comme moi, alors j’étais finalement heureux. Les probabilités de rencontrer un homme qui ne travaillait pas dans la forêt étaient somme toutes réduites.

Henriette que tout le monde connaissait dans les clairières et sur les coupes ne laissait jamais un homme indifférent, c’était un peu la fée des bois. Elle était joliette et l’on eut dit sa mère au même âge. Le lascars s’appelle Ferdinand Prieur et la noce se fit en notre nouveau chez nous à Châtillon sur le Morin.

On fit donc la fête après être passé à la mairie et dans la petite église Saint Léger. J’étais ému au delà du possible, cette petite sotte allait disparaître de mon univers et ce n’est plus à moi qu’elle amènerait les repas. Légalement elle était à son mari, comme on dit pour le meilleur et pour le pire.

Mais il me restait encore des oies blanches à surveiller. Alexandrine avait maintenant dix sept ans et ne baissait plus la tête quand elle voyait un garçon. Puis il y avait Adélaide treize ans, gibier de potence comme Henriette. Ces deux donzelles qui partageaient le même lit, croyaient-elles que nous ne les entendions pas rignocher en refaisant le monde et en en parlant des garçons.

Après le mariage on tomba rapidement sur la Saint Jean, encore un souci de surveillance des filles, je chargeais mon fils Thomas de surveiller ses sœurs.

L’excitation des danses autour du feu, pouvait amener à de malencontreuses actions. Mais lui même en cours de fréquentation avec une fille de la Fontaine sous Montaiguillon ferait-il réellement attention à elles .

A la maison ma mère était toujours là, elle avait passé ses quatre vingt ans. Catherine toujours gentille disait qu’elle n’en finissait plus de mourir et que si cela continuait elle crèverait avant elle.

De fait ma mère se lamentait tout le temps mais n’avait aucunement envie de mourir, il y avait bien longtemps qu’on ne lui demandait plus rien .

Elle passait son temps sur le vieux fauteuil ou quand il faisait beau elle poussait jusqu’à l’église pour s’asseoir sur un vieux banc de pierre à l’ombre des arbres. Avec d’autres cacochymes elle refaisait son monde.Parfois elle se souillait et alors là ma femme tempêtait. Mais que faire nous ne pouvions quand même pas la jeter dehors.

Marie Louise Cré, veuve Perrin

Commune de Verdelot, département de Seine et Marne

Année 1837

Non non et encore non, je me refusais à me remarier, pourquoi le ferais-je . J’étais bien tranquille avec mes garçons et mes filles.

J’avais cinquante sept ans maintenant, âge où l’on a fini de se donner, jamais je n’aurais laisser un nouvel homme me découvrir.

Bon j’avoue quand même qu’un veuf du village me tournait autour et que j’en étais un peu flattée. Un jour j’ai même accepté de lui offrir la goutte. Le moment était sympathique , mais l’idiot avait cru que je lui donnerais plus qu’à boire et nous restâmes sur un léger malentendu.

J’avais autorisé ma fille Denise à convoler avec un berger nommé Jean Baptiste Hardy, elle n’avait pas été le chercher bien loin, car il était de Pilfroid comme nous. Ils se connaissaient depuis toujours et d’ailleurs peut être plus qu’ils auraient du.

Enfin quand je dis autoriser c’est un bien grand mot, car la Denise elle était enceinte jusqu’aux yeux. Comme si elle n’avait pas pu attendre avant de lever la jambe. De quoi avions nous l’air, nous les Perrin. Je crois que si le père avait encore été vivant il les aurait tués. Un véritable déshonneur, lorsque j’allais à la messe j’ avais l’impression de me retrouver nue devant toute l’assistance et d’être jugée.

La Denise je lui avais mis une paire de gifles et son frère Louis voulait la mettre dehors.

Jean Baptiste le berger aimait ma fille et il nous assura qu’il allait réparer, il tint parole et une petite arriva un mois après le mariage de ses parents. On la nomma Louise, ce n’était pas mon premier petit enfant car mon aîné avait déjà deux garçons. Je ne les avais guère vus, la Marne n’était pourtant pas très loin.

Mais il n’y avait pas que Denise à être partie, Joséphine s’était placée comme domestique à Bellot.

Elle était sérieuse et je n’avais aucun souci à me faire.

Lorsqu’on est veuve on dépend un peu de ses enfants, le Nicolas en mourant me laissa sans le sou, une fois tout payé il ne me restait que mes yeux pour pleurer. Heureusement Louis et Joseph bergers tous deux me laissaient leurs gages. J’en faisais bon usage et je leur en gardais une part pour une future installation. Ils avaient des besoins d’hommes et je leur redonnais de l’argent pour leur tabac et pour les pichets de vin à l’auberge. Ils me faisaient confiance.

Comme petite compagne j’avais Marie Louise ma dernière, petite bonne femme de dix ans qui ne donnait pas sa part aux chiens. Elle travaillait comme une femme et m’épaulait pour les travaux ménagers. J’étais plus proche d’elle que ne ne l’avais été pour les autres. Plus disponible sans doute, plus sereine devant la vie que j’avais maintenant dernière moi.

 

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