Marie François Isidore Groizier
Commune de Verdelot département de la Seine et Marne
1833
Ma femme venait de mourir et c’était bien dommage, mais moi il me restait à vivre. Si il n’y avait eu que moi j’eusse surmonté ma douleur tranquillement à mon rythme, la vie serait revenue, elle m’aurait de nouveau souri. Mais voilà dans un coin de la pièce près du corps de sa mère, hurlait Louis Alexandre âgé de deux mois, il avait faim et je ne pouvais rien pour lui.
Il n’y avait d’ailleurs pas que lui, Médéric lui n’avait que trois ans, il regardait de ses grands yeux cette animation inhabituelle, sans comprendre encore que sa mère l’ait laissé à son triste début de vie.
Clément mon deuxième, lui du haut de ses cinq ans avait bien compris, des grosses larmes coulaient sur ses joues, on eut dit des perles de rosée.
Mais qui prendrait soin de ma seule fille, ma belle Clarisse, grande brindille de six ans qui s’efforçait de suppléer à sa maman qui gisait dans ses draps blancs.
Isidore l’aîné mon grand de huit ans était seul à ne pas paraître triste, il se jouait un rôle, voulait sans doute paraître, aucune larme ni aucun cri.
Qu’allais-je faire d’eux, qui allait les nourrir, qui allait lessiver leurs chemises sales, qui allait les guider vers le droit chemin et leurs apprendre les gestes essentiels de la vie.
Tout cela était affaire de femmes, je n’en avais plus, il m’en fallait une.
J’avais trouvé des tétons pour le bébé, pour les autres la solidarité paysanne se mit en route, les enfants furent chez eux dans toutes les maisons de Pilfroid, Marie Louise Perrin, Rosalie Hardy, Françoise Cré, Adélaide Hennequin, toutes aidèrent et apportèrent réconfort et chaleur.
Je pus compter également sur mon père et ma belle mère qui vivaient au village, ils me prenaient le plus grand, lorsque ce dernier allait à l’école.
Toute cette solidarité m’allait droit au cœur, mais cela ne pouvait être que provisoire. Il me fallait une mère pour ces petits et accessoirement une femme pour moi.
Idéalement il m’aurait fallut une veuve dans la même position que moi, mais voilà rien sur le marché, ni à Verdelot ni dans les environs. Pas de veuve à l’horizon, il me fallait une jeune femme. Je n’avais rien pour séduire, enfin je veux dire que j’étais pauvre comme Job et qu’un malheureux comme moi, affublé de cinq enfants en bas âge ne pouvait guère passer un beau contrat.
Je finis par avoir vent d’une demoiselle sur le village de Montolivet, connaissance de connaissance, ce n’était pas du premier choix. En cela nous avions donc un point commun.
Marie Céline puis ce que c’est ainsi qu’elle se prénomme, n’est en effet plus de la première jeunesse. Une laissée pour compte, une que personne n’a voulu, une vieille vierge de quarante quatre ans, c’était comme défricher un vieux bois. Je n’avais moi que trente et un ans, vous vous rendez compte un siècle nous séparait, tout le monde allait se moquer, me conspuer me faire charivari. Mais je n’avais pas le choix , je ne pouvais rester veuf avec mes marmots, cela ne se faisait pas et je ne le pouvais pas.
Ce n’était pas qu’elle fut laide mais déjà le temps avait fait son œuvre, la dure vie des champs, le dur cheminement de la vie. Ses cheveux grisonnaient, ses joues s’affaissaient et ses dents se gâtaient, mais heureusement une poitrine vierge de bouches affamées lui donnait une fière silhouette. Ce qui me surprit ce fut plutôt ses mains, fines et soignées, bizarre pour une travailleuse des champs. Celles de Rosalie étaient dures, craquelées, déformées, avaient des ongles courts et sales.
Elle me surprit aussi par sa pétulance et son intelligence. Je la négociais auprès de ses frères, ce fut dur, âpre et assez sordide. Je l’obtins, comme on obtient une obole. Ils s’en débarrassèrent de la vieille fille comme on jette une vieille chemise à un chiffonnier, comme une peau de lapin que l’on vend aux marchands ambulants.
Le 21 janvier 1833 à dix heures du matin elle devenait ma femme, il me restait à la conquérir amoureusement , à l’installer dans un rôle de mère et pourquoi pas à la rendre heureuse.
Triste!
J’aimeJ’aime