Marie François Isidore Groizier
Commune de Verdelot département de la Seine et Marne
1822
La jeunesse est le temps de la recherche constante d’une compagne, moi je ne dérogeais pas à la règle. J’étais précoce et bien avant d’avoir du poil au menton je regardais les filles avec des yeux bien différents des autres garçons de mon age .
Je préférais de loin la compagnie des femmes à celle des hommes, c’était bizarre mais j’étais mieux autour d’un jupon qu’autour d’un halo de fumée de pipe.
J’avais d’abord admiré ma belle mère, je recherchais son contact, me frottais à son cotillon, je humais avec délectation ses odeurs fortes. Je me serais bien glissé le long de son corps lorsqu’elle dormait et je rêvais de poser ma tête sur sa poitrine.
Ce que j’aimais par dessus tout lorsque j’étais petit, c’était le bain. Ma belle mère nous déshabillait et nous nous mettions dans la grande bassine à lessive, elle nous lavait en nous aspergeant d’eau qu’elle avait fait chauffer sur le foyer de la cheminée. Une véritable délectation, un sentiment de honte aussi lorsque une timide manifestation physique surgissait, en tout cas un souvenir impérissable. Mais le bain était plutôt annuel que journalier et les années passant je me nettoyais tout seul.
Puis mon regard se porta sur nos voisines, Madame Cré, Madame Perrin, Madame Hardy, je les trouvais toutes belles bien que certainement, elles ne le fussent guère.
Je rôdais, amoureux de l’une , amoureux de l’autre, elles ne me regardaient pas je n’étais qu’un sale morveux, boutonneux, dépenaillé, une mauvaise herbe poussée n’importe comment.
Puis j’en arrive maintenant à Rosalie, nous avons grandi en même temps, dans le même village, le même hameau, le même quereux. Au départ elle ne m’intéressait guère , puis nous avons grandi et c’est elle qui ne s’intéressait plus à moi.
J’avais l’impression qu’elle était un peu comme ma sœur, puis un soir lors d’une veillée nous nous sommes trouvés assis l’un à coté de l’autre. Bercés par la voix mélodieuse de Nicolas le berger nous nagions dans une sorte de paradis. Je sentais son souffle chaud, j’entendais sa respiration. Elle n’osait me regarder, elle n’osait bouger, mais pourtant lorsque mes doigts touchèrent les siens je sentis que son corps se détendait, entrait en communion avec le mien.
Ce soir là, nous nous sommes séparés sans que l’un de nous n’eut prononcé une parole. Mais nous savions à l’évidence que notre vie serait commune, que nos âmes ne feraient qu’une.
Le jeu commença, j’étais le chat , elle était la souris, ou l’inverse elle se faisait chatte et moi faible rongeur.
Je recherchais sa présence, elle se trouvait à chacun de mes pas. Sans le vouloir,comme inconsciemment nous nous rencontrions. Timide elle n’osait m’adresser la parole, alors je dus vaincre mon peu d’éloquence. Elle était déjà sous mon charme mais je dus la convaincre qu’elle devait être mienne.
Au village on prenait généralement femme dans les environs, c’était une coutume. Nous étions d’ailleurs limités par nos déplacements. D’autre part comme les filles étaient rares nous ne pouvions sans crainte de jalouses bagarres, voler une femme d’une autre commune. Il nous fallait aussi respecter quelques règles élémentaires et ne pas péter plus haut que nous n’avions le cul. Un journalier n’emportait pas la fille d’un gros laboureur, un tuilier n’enlevait pas la fille du meunier. Là je pouvais aisément prétendre à une union, une fille de berger, travailleuse de la terre, imprégnée de l’odeur des animaux pouvait bien convoler avec un manieur d’argile. Il me fallait simplement économiser quelques francs pour mettre dans la balance et convaincre François Cré son père.
Un soir à table, j’abordais le sujet du mariage, il me fallait convaincre d’abord mes parents afin qu’ils acceptent de me laisser mes gages pour que je constitue mon pécule.
Ils me regardèrent avec stupéfaction comme si je leurs demandais l’impossible. Ma belle mère me dit, c’est la Rosalie Cré. Je devins rouge comme une pivoine et devant cette réaction intempestive je n’eus pas à leurs répondre, ils avaient deviné.
Commença alors une longue attente, on enlevait pas d’assaut une fille aussi facilement. Le père alla voir François Cré le berger et ils causèrent un bon moment. Je fus agréé par la famille alors je pus en toute liberté faire une cour assidue à Rosalie.
Je ne m’en privais pas et tous mes moments de libres je les passais avec ma future.