Catherine Berthé, femme Patoux
Commune de Gault département de la Marne
Année 1818
La vieille était encore là, on ne se débarrasse pas si facilement des mauvaises herbes. Que ne s’était-elle pas remariée ! Un veuf lui aurait bien fait son affaire, mais non après son veuvage la douairière avait tiré le rideau et tel un fantôme vêtu de noir s’affairait en mon intérieur.
De son corps, seules ses mains ridées et tordues apparaissaient encore agiles malgré les épreuves qu’elles avaient subies. Son visage sans sourire, les joues creusées par le manque de dents et les sillons creusés par des années de dur labeur, nous apparaissait chaque matin comme celui d’une sorcière qui va au sabbat.
Si encore elle avait assumé uniquement son rôle de grand mère et qu’elle était restée à l’écart de notre couple c’eût-été merveilleux.
Mais elle se mêlait de tout et moi je n’étais pas disposée à l’accepter. Alors c’était engueulade et bouderie, puis semblant de réconciliation. Si elle avait pu s’installer chez son autre fils, cela aurait évité quelques orages. Pourquoi donc l’avions-nous emmenée à Perthuy alors qu’elle avait vécu toute sa vie à Recoude
Moi en ce moment j’étais grosse de plusieurs mois et j’avais même du cesser les moissons car je n’arrivais à me tenir debout qu’avec peine. La vipère me fit remarquer que j’étais une feignasse et que nous allions crever de faim. Elle n’avait qu’à moins manger.
Le 25 aout ce fut enfin la délivrance, dire que j’ai vécu un martyr ne serait pas exagéré. La sage femme s’aperçut rapidement qu’il y en avait deux et qu’ils étaient en danger.
Alors quoi, sauver la mère ou sauver les petits? On nous sauva finalement tous les trois . Bon la nature est bien faite car la science de la matrone était plus que faible face à un un accouchement aussi difficile. Ce n’était donc pas grâce à elle que nous vivions.
Enfin vivre était peut-être un grand mot dans le cas de Marie Julie et d’Auguste Ferdinand, ils étaient minuscules et n’avaient sûrement pas fait leur temps dans mon ventre. Moi je n’avais plus de fondement, la fatigue avait eu raison de moi et je me trouvais bien incapable de donner le sein. J’avais perdu beaucoup de sang et ma conscience naviguait entre la vie et la mort.
On trouva des mamelles et on emmena les petits au baptême
Je ne sais combien de jours je me suis promenée aux limites de la vie, mais peu à peu je suis revenue parmi les miens, ma belle mère s’était dévouée nuit et jour pour me sauver.
Je l’avais jusqu’à maintenant vu avec des yeux d’une importune, je la voyais maintenant comme une mère de remplacement.
Pour les petits aussi le balancier du destin oscilla, mais en notre époque il était bien rare que les jumeaux survivent et mes enfants ne firent pas exception. Le garçon mourut le 9 septembre et la fille le 11 septembre, finalement nous n’en furent guère peinés car leur débilité nous aurait rien donné de bon. Pour qu’ils deviennent improductifs et à charge pour nous autres autant qu’ils meurent, avant qu’un attachement nous lie.
Je ne pus reprendre ma place pour les vendanges et je trainais mon ennui d’un siège à l’autre.
Louis se morfondait dans son désir, il fallut que je me plie à sa volonté, j’avais mal, je n’y trouvais aucun plaisir et j’avais parfois des saignements, mais sa seigneurie posait ses grosses pattes sur moi et malheur si je faisais mine de refuser.
Nicolas Perrin
commune de Verdelot département de Seine et Marne
année 1820
Nous étions débarrassés depuis l’année dernière de toute occupation étrangère. Je devais le reconnaître le gros Louis et sa clique de traitres avaient assez bien œuvré.
Le retour de l’empereur, nous avait couté assez cher mais la gloire n’a pas de prix. Certes en ces années les napoléonides faisaient encore profil bas. Mais les paysans ou les ouvriers, qui avaient été à Waterloo, étaient déjà auréolés d’un beau prestige. Les anciens qui avaient fait les campagnes victorieuses pouvaient bomber le torse. Moi j’avais combattu dans les armées républicaines et j’aurais foutu une volée à tous ceux qui se seraient moqués.
A la maison nous avons eu des hauts et des bas et ma femme qui avait perdu l’une de nos filles à l’age de 15 mois se remettait à peine. Il est vrai que ce petit bout de femme née en 1817 et qui était morte l’année suivante emportée par une rougeole avait laissé vide notre foyer.
Le berceau était vide et il arrivait encore que Marie Louise ne le berce.
Heureusement son ventre s’était rempli à nouveau. Je ne sais si cela lui faisait plaisir mais en toute conscience je crois qu’elle n’avait pas le choix.
Marie Louise, au vrai ne m’accueillait plus comme avant, c’était une vérité dans notre couche où parfois j’avais l’impression de faire l’amour à une bûche mais aussi dans la vie courante.
Il y a encore quelques temps, elle venait à ma rencontre lorsque je rentrais du travail, se pendait à mon cou, m’effleurait les mains, me souriait tout le temps.
Maintenant ce n’était que froideur, elle me parlait oui mais ne m’entretenait que de choses utiles.
Notre vie était comme forcée, que pouvait-elle me reprocher, je ne buvais pas, je ne la battais pas et je lui remettais scrupuleusement ma paye.
Pour mes petites incartades avec Augustine elle ne pouvait être au courant, alors quoi?
Le 10 février 1820 nous arriva un fils, il était en pleine santé, sa mère allait aussi fort bien et c’était d’un air joyeux que j’allais le déclarer en mairie. J’avais une idée en tête et je n’en avait pas fait part à ma femme. D’ailleurs c’était moi qui décidait du nom de mes enfants.
Le maire Chardon toujours en place me demanda les prénoms que je voulais donner à mon fils. Joseph Alexandre Napoléon, le secrétaire ce foutu instituteur Berthemet nota scrupuleusement.
Mais finalement la plume lui tomba presque des mains, vous vous rendez compte il avait écris sur le saint registre le nom de l’usurpateur. Le maire avait blêmi, ses lèvres tremblaient, on eut dit que l’irréparable venait de se commettre et que le roi en personne allait lui taper sur l’épaule.
Il me dit que je ne pouvais faire cela, moi je lui certifiais le contraire. J’avais beau être respectueux au Chardon je lui aurais mis mon poing sur le nez. Mais l’instituteur et son fils qui me servaient aussi de témoins apaisèrent ma rage. Le secrétaire finit par rayer le nom de Napoléon sur l’acte.
En entrant à la mairie je ne voulais que rendre hommage à notre empereur et jamais en notre quotidien je n’aurais appelé mon fils Napoléon. Mais comme ces foutus royalistes m’avaient emmerdé sur le sujet désormais je nommerais mon fils Napoléon.
Marie Louise en pleura, Augustine fut outrée, François Luc en rigola, Nicolas mon fils ainé en fut honteux et ma petite Joséphine l’appela Poléon.
Non de Dieu ,j’étais bien maitre chez moi et vive l’empereur.