UNE VIE PAYSANNE, ÉPISODE 24 , Le jeune Isidore

 

Marie Louise Cré, femme Perrin

Commune de Verdelot, département de Seine et Marne

Année 1816-1817

La situation s’était stabilisée, pour tous, la terreur blanche qui régnait sur le royaume se calmait un peu.

Quelques traitres avaient été fusillés, le rougeaud de Sarrelouis, le jeune fou de Grenoble.

La foule avait aussi massacré le maréchal Brune celui qui s’était fait parait-il des moustaches avec les poils du conin de la duchesse de Lamballe.

La présence des étrangers nous pesait évidemment, mais la discipline avait repris le dessus et ils étaient devenus plus corrects.

Par contre notre situation économique n’était pas bonne et malgré le bon salaire de Nicolas nous avions du mal à remplir la marmite.

Il avait fait froid, il avait beaucoup plu et les moissons n’étaient pas toutes rentrées en octobre.

Certains paysans ont même laissé leur avoine dans les champs. Notre bon roi a donné 1300 francs de sa cassette personnelle pour nos indigents.

Heureusement nous n’en faisions pas partie, j’aurais eu bien trop honte.

Le curé Nicot tentait de reprendre ses ouailles en mains, mais persuader Nicolas ou mon frère de faire leurs Pâques tenait de la gageure.

Ces deux là ne voulaient pas retomber sous la coupe des curaillons et malgré toutes les processions et la tentative de reprise en mains des âmes, eux et beaucoup d’autres hommes ne reprirent le chemin de la pleine religiosité.

Nicolas n’avait aucune fierté à louer un banc à l’église et il se moquait bien de ceux qui avaient cette prétention. Non, lui le dimanche c’était à la table du cabaret qu’il entendait Dieu.

Mon berger était le diable incarné et physiquement en vieillissant il lui ressemblait.

L’année 1816 fut en tous points catastrophique, et en 1817 le prix du pain avait considérablement augmenté, c’en était presque insupportable et sur la place du village en mai l’orage de la révolte a fait trembler les autorités. On s’est rassemblés, on a hurlé et on a dirigé notre colère vers le château de l’ Aulnoy Renault qui appartenait à notre maire Monsieur Chardon et à la Bonnerie une grosse ferme. On a tout pillé, tout saccagé, seulement l’émeute était importante et les autorités firent appel aux cuirassiers de la garde pour protéger les marchés et on arrêta les meneurs.

Nicolas fut promptement interpellé, toujours aux premières loges celui là. Ses convictions Bonapartiste étaient bien connues , il allait sûrement payer pour les autres.

A Château Thierry sur le marché les gardes ont tiré sur la foule, c’était évident, ce n’était pas arrivé sous Napoléon.

Mais notre bon Louis fut magnanime et amnistia les insurgés, mon Nicolas revint la queue entre les jambes et absolument pas guéri de sa révolte. En attendant nous les pauvres, on mangeait de l’avoine, heureusement des secours arrivèrent et monsieur Chardon put distribuer un peu d’aumônes royales.

Pour le bien de tous monsieur le maire fit paver le chemin qui mènait de Verdelot à Villeneuve, pavés de misère pour son propre intérêt disait Nicolas.

 

Marie François Isidore Groizier

Commune de verdelot département de la Seine et Marne

1817

Je venais d’avoir 15 ans et j’étais l’ainé de la fratrie, nous étions comme beaucoup d’autres une famille recomposée ; ma mère nous avait quittés prématurément à l’age de 32 ans, je ne me rappelle plus d’elle car je n’avais que trois ans quand elle est morte.

Papa s’était remarié un mois après le décès de ma mère avec une femme dont je ne me souviens plus non plus car elle est morte 9 mois plus tard.

Mais mon père qui décidément ne pouvait guère rester longtemps tout seul se remaria pour la troisième fois deux mois après le décès de sa deuxième épouse.

Pour résumer il s’était marié trois fois en un an, belle performance tout de même.

Ma belle mère se nommait Marie Victoire Profit et elle avait donné trois filles et un fils à mon père.

Hélas pour eux mon demi frère Alexandre était mort à l’age d’un an et ma demi sœur Joséphine également.

Nous étions donc une petite famille de trois enfants, mes sœurs avaient respectivement 8 et 3 ans. Ma belle mère je pense, me considérait comme son fils du moins c’est l’impression que j’en ai gardée.

Papa était compagnon tuilier et travaillait à la tuilerie de l’ Aulnoy Renault, j’aimais ce grand monsieur qui chaque matin partait avec sa besace sur le dos et ne revenait que fort tard le soir.

Heureusement la tuilerie était à deux pas du hameau de Pilfroid où nous demeurions et je pouvais ainsi aller l’observer pendant qu’il travaillait. Il acceptait aussi parfois que je le rejoigne pour partager son casse croute. Je m’asseyais alors fièrement parmi ces hommes rudes et je les écoutais raconter leur vie et leurs exploits. Mon père était plutôt silencieux mais souvent rigolait à gorge déployée de quelques bêtises.

La tuilerie ne fonctionnait que d’Avril à Juillet alors mon père comme les autres hommes se louait pour les gros travaux, tous à vrai dire étaient polyvalents et personne ne restait à ne rien faire.

Moi je voulais devenir tuilier comme mon père mais lui pensait que je devrais suivre la trace de mon grand père Jean le colporteur. Il disait que cela rapportait plus et comme mes oncles pratiquaient ce négoce il m’eut été facile de suivre leur trace.

J’avais été à l’école de monsieur Berthemet, j’étais donc un petit privilégié car je savais lire et écrire. Enfin cela c’est ma belle mère qui le disait. Elle disait aussi que c’était pitié de perdre son temps assis sur un banc à tracer des lettres alors qu’on pouvait aider ses parents.

Nous vivions au hameau de Pilfroid, la population y formait une sorte de communauté. Les hommes travaillaient dans les mêmes fermes, les femmes poussaient la brouette jusqu’au lavoir ensemble et nous la jeunesse on grandissait en s’ébattant dans les mêmes lieux. Lorsque vous alliez tirer de l’eau au puits il y avait un voisin, lorsque vous posiez culotte il n’était pas rare de vous faire surprendre. Cela allait quand c’était un copain ou un homme mais quand c’était une fille alors l’humiliation était profonde.

Nous savions tout, les menstrues de l’une, la fausse couche de l’autre, la volée qu’un tel venait de se prendre par son père. Les engueulades entre époux, les violences conjugales, nous participions à ces remue-ménages avec bonheur parfois tant la situation était comique mais aussi parfois avec tristesse lorsque les bornes étaient dépassées.

La règle était de ne se mêler de rien mais c’était difficile.

Depuis quelques temps déjà j’étais tuilier, Papa m’avait emmené alors que j’avais douze ans. J’étais un privilégié car d’autres étaient au travail depuis bien plus longtemps.

Je me considérais comme un homme, bien qu’aux yeux des miens je ne n’étais qu’un enfant.

Ah oui j’oubliais mon père se prénommait Christophe, je crois bien que c’était le seul homme de la commune qui portait ce prénom, sûrement une originalité de mon grand-père le marchand forain.

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