
Louis Alexandre Patoux
commune de Gault le soigny département de la Marne
Année 1814
Mon premier fils était né en mai, nous l’avions nommé Thomas Alexandre, c’est toujours impressionnant une première naissance. Il est arrivé à 10 heures du matin. Avec mon père et mon frère nous avons fait les couillons un bon moment devant la porte. Il n’était pas question qu’un homme participe et même le père n’était pas le bienvenu. Ma femme m’avait prévenu,si cela se passe mal je ne veux pas de médecin.
Bon Dieu quelle pudicité.
Avec le frère et le père nous sommes allés le déclarer au père Pelletier le maire du village.
Ce dernier d’ailleurs s’inquiétait beaucoup sur sa situation, la royauté avait fait son retour et il craignait pour sa place.
Il n’avait rien à craindre car sa prudence,pendant que nos troupes se battaient dans le secteur, ressemblait beaucoup à de la peur.
Nous, avec l’ensemble de la famille, on s’était enfuis une fois en forêt, nous avions retrouvé dans notre clairière un bonne partie du village et nous avions dormi dans les cabanes de bucherons.
Catherine a eu beaucoup de mal à suivre et on a cru un moment qu’elle allait nous faire l’enfant dans les bois. Ma mère n’était guère inquiète car apparemment elle était née de cette façon.
Avec le frère nous n’avions pas été rejoindre les combattants, par peur, par lâcheté ou par une sorte d’indifférence. Moi je n’aimais pas la violence, je me foutais bien de Napoléon et encore plus de ses frères et sœurs qui régnaient sur des pays qui ne leur appartenaient pas. Alors le retour d’un roi qui se nommait Louis XVIII pourquoi pas. Il fallut quand même qu’on m’explique qui avait été Louis XVII et là même les grandes gueules du village qui d’habitude savaient tout on eut du mal à savoir que c’était le fils de celui qui était passé sous le rasoir national.
Bon j’étais donc père de famille, fendeur de lattes et évidemment comme tout le monde manouvrier pour les grands travaux, labours, moissons, battages et même vendanges.
Mon frère Charles était fiancé et se marierait l’année prochaine, cela ferait un peu de place à la maison et surtout il arrêterait de reluquer Catherine.
Catherine Berthé, femme Patoux
Commne de Gault département de la Marne
Année 1814
J’avais failli accoucher dans les bois, car tous devant l’avance des armées étrangères nous nous étions enfuis.
C’était la fin d’une époque, la gloire s’en allait mais la tranquillité reviendrait sûrement.
Pour moi aussi à titre personnel le changement fut radical, un bébé, cela vous changeait le cours de votre existence.
Nous avions mis le berceau à coté de notre lit, Thomas hurlait toute la nuit, c’était infernal et l’humeur dans la maison s’en ressentait.
Ma belle mère excédée venait à mon secours et berçait l’enfant. Nous n’étions guère frais quand nous nous levions.
Comme il ne se calmait pas vraiment, le Thomas on le mit entre moi et mon mari. Le bougre s’arrêtait de chanter immédiatement. Le lendemain j’avais droit à tout, vous allez en faire une poule mouillée, c’est sûrement ton lait qui n’est pas bon, cela ne vient pas de notre coté, moi je faisais autrement. Le tout agrémenté à chaque fin de phrase par ma pauvre fille.
Je n’en pouvais plus, soit elle cassait sa pipe, soit nous déménagions, en tous cas ce fut une source de dispute avec Alexandre.
J’avais le sentiment que cela n’allait pas se résoudre immédiatement.
En plus j’avais des ennuis avec Charles, le frère, je trouvais qu’il ne me regardait pas de façon convenable. Son regard n’était pas celui d’un beau frère, mais celui d’un homme qui cherche une femme, qui la désire.
Nous vivions entassés les uns sur les autres et il fallait quand même que chacun se respecte. Lui ne le faisait pas, toujours à roder autour de mes jupons, toujours à fourrer son nez dans nos affaires féminines. J’avais hâte qu’il s’en aille.
Un jour les hommes ont bien manqué de se battre et seule l’autorité de ma belle mère sur ses fils avait réussi à conjurer le drame.
Nicolas Perrin
commune de Verdelot département de Seine et Marne
année 1815
Je ne tenais plus de joie quand j’ai appris que l’empereur s’était évadé de son royaume Elbois, je le savais qu’il allait nous délivrer de cette foutue engeance qui prétendait nous diriger.
Il remonta sur Paris avec célérité, même le traitre Ney ne put le contraindre à rebrousser chemin.
Le 20 mars il était aux Tuileries et reprenait les rênes du pouvoir. Mais est-ce que cela sera comme avant ?
Au village il y avait les pours et les contres, moi j’étais prêt à aller combattre aux frontières, mon beau frère la poule mouillée disait que c’était malheur de ce retour. Ce fut une belle empoignade, au cabaret où nous manquâmes de nous battre.
Au village le maire Mr Chardon perdit sa place, forcément comme la plupart il avait honteusement retourné sa veste.
C’est Pierre Maucler un cultivateur qui d’ailleurs était l’adjoint de Chardon qui prit sa place, au moins il était au courant des affaires.
Bon à la décharge de l’ancien maire, il n’a été remplacé qu’au mois de juin et c’est lui qui avait tenu la place pendant tout l’empire.
Comme prévu l’Europe entière nous tomba dessus, mais notre empereur prit les devants et monta en Belgique pour les vaincre à tour de rôle. Hélas il n’était plus le même, il prit à son service des traitres et des médiocres.
Dès le 21 juin 1815 on a vu passer des soldats débandés, vaincus, blessés, une belle déroute.
Waterloo, arriva que nous n’avions pas fini de fêter la victoire de Ligny.
Cette fois c’était la vraie fin, notre empereur abdiqua et moi je redevenais un peu orphelin.
Au village j’ai bien failli me faire massacrer par une bande de blancs exaltés. Les royalistes allaient se venger sur nous.
Puis les armées étrangères arrivèrent de nouveau et s’installèrent à demeure. Ils étaient comme chez eux, pillaient , violaient, exigeaient. Les autorités revenues dans leurs bagages acceptaient tout.
Fini la gloire, le reste de l’armée Française fut démobilisée sur la Loire et de nombreux soldats revinrent dans nos campagnes.
Pour l’instant ils durent faire profil bas car l’heure de la vengeance des médiocres était arrivée.
Napoléon retourna dans une île et moi je m’en retournais à mes moutons.
De toutes façons, il nous fallait bien avancer, Buonaparte ou gros Louis, les bêtes demandaient une attention constante.
Mais à tout moment nous croisions les envahisseurs et nous n’en serions débarrassés qu’au prix d’un dédommagement faramineux. C’était encore nous les pauvres qui allions devoir nous saigner aux quatre veines.