UNE VIE PAYSANNE, Épisode 19, , la mort des anciens

 

Marie Louise Cré

Commune de Verdelot, département de Seine et Marne

Année 1808

Le mois de mai, s’ il fut préjudiciable à notre Empereur qui tentait de s’imposer en Espagne, l’avait également été pour notre foyer.

Papa le six mai au soir déclara à la tablée qu’il ne se trouvait pas bien et qu’il allait se coucher.

Nous fûmes stupéfaits car c’était bien la première fois, la nuit se passa mal, diarrhée, vomissements, mal de tête. Le lendemain Maman se couchait près de lui avec les mêmes symptômes. On nous conseilla d’écarter les enfants, mais avec un risque de contagion, vous pensez bien que personne ne voulut nous les prendre.

 

Ils restèrent donc avec nous et assisteront à la mort lente de leurs grands parents, ainsi se forme les caractères.

Les hommes allèrent au travail quand même et Augustine et moi on resta au chevet des deux vieux.

Ce fut dramatique, le 8 mai mon père perdit conscience et nous quitta vers 9 heures, que faire de maman, nous ne pouvions tout de même pas la laisser agoniser à coté de son homme mort.

Je décidais de la porter sur mon propre lit et tant pis si Nicolas allait me gueuler dessus.

La soirée vous vous en doutez fut morne, veiller un mort et veiller une moribonde n’avait rien de réjouissant. Maman ne sut pas que l’amour de sa vie était parti, sûrement une bonne chose.

Mon père était maintenant dur comme du marbre, nous avions eu un mal fou à le revêtir de ses habits du dimanche. Nous savions qu’il y tenait mais quand même cela faisait pitié car ils auraient pu resservir à Nicolas ou bien à François.

On fit tout bien avec Augustine comme maman nous l’avait appris, le petit miroir était recouvert d’un linge, la cuvette d’eau avait été vidée pour que l’âme du mort ne se mire pas en montant au ciel.

Si maman avait eu encore ses capacités, c’est-elle qui aurait pratiqué la toilette mortuaire. Nous étions bien empruntées avec l’Augustine. Outre que nous avions eu du mal à le déshabiller, se retrouver face au corps nu de son père avait quelque chose de dérangeant, mais bon nous n’allions quand même pas faire intervenir la matrone du village pour purifier le corps du vieux. C’était une affaire de famille, comme le linge sale.

Puis était-ce l’énervement, la fatigue mais avec la belle sœur on fut prises d’un fou rire irrespectueux lorsque nous nous étions approchées du saint objet de feu le père.

Après on plaça le cierge de la chandeleur à la tête du lit puis une coupelle d’eau bénite que nous avions ramenée de l’église aux rameaux. Les visiteurs pourraient ainsi en asperger le corps de notre père.

La veillée commença et de nombreux habitants du village montèrent jusqu’à Pilfroid pour lui rendre hommage. La question qui vînt à nous fut de savoir si nous allions l’enterrer le lendemain ou attendre que la mère ne meurt.

D’un autre coté allait-elle seulement mourir, cela nous ferait moins de frais. On eut beau ergoter, on ne savait pas quand elle allait lâcher prise.

Nous avions prêter tellement d’attention à notre père que nous avons laissé la mère partir seule.

Le spectacle était en soit fascinant, un corps mort illuminé par une bougie qui vacillait au moindre mouvement, une ombre spectrale s’étendant menaçante sur le mur.

Hypnotisée je finis par m’endormir sur ma chaise et l’Augustine elle s’était couchée insensible à la troublante situation. Nicolas avait fuit dans la grange. Mon frère François lui avait quitté les lieux pour dormir à la ferme avec ses moutons comme si le mort et la moribonde lui étaient inconnus.

J’étais seule, fatiguée, apeurée et au matin j’avais deux morts. Dieu avait choisi pour nous, on les enterrerait en même temps.

Il fallut recommencer le même cérémonial pour Maman, mais je fus moins impressionnée, car je connaissais la nudité féminine.

On enveloppa nos parents dans de beaux linceuls blancs et à l’aide de la charrette des voisins on les emmena en promenade une dernière fois.

Pour qui sonne le glas, à François Cré et à Marie Louise Guyot.

Commune de Villers aux bois département de la Marne

Année 1808

Malgré que les nouvelles du monde nous arrivaient filtrées par la censure, nous apprenions que les affaires de Napoléon ne se passaient pas au mieux en Espagne. Les populations visiblement ne voulaient pas du cadeau merveilleux que leur faisait notre empereur en la personne de son frère ainé Joseph. Partout c’était insurrection et les Anglais par leur cavalerie de Saint Georges et par les troupes du encore modeste Wellington attisaient le feu.

Le grand guerrier dut intervenir en personne pour qu’un semblant de stabilité se manifeste.

Moi, tout ce mouvement autour de nouvelles bien lointaines, me laissaient perplexe. J’avais bien d’autres sujets d’inquiétude.

Maman qui depuis longtemps s’étiolait, était maintenant moribonde. Tout reposait sur moi, lorsque je rentrais de mon travail, épuisée je devais encore m’occuper de ce squelette nauséabond qui gisait sur une paillasse puante de souillure.

L’aide que j’avais eue, s’étiolait peu à peu, la maladie de mère avait duré trop longtemps, les voisines, la famille, tous s’étaient éloignés de ces sales besognes.

Maman ne se levait plus et évidemment se souillait, chaque soirée était pour moi un long calvaire, tristesse de voir partir ma mère et écœurement devant la pestilence animale.

Elle me regardait avec des yeux larmoyants, m’implorant de lui pardonner ou bien me suppliant d’abréger ses souffrances. Propre pour quelques heures je tentais d’atténuer par des onguents les plaies qu’elle avait sur les cuisses et les fesses, puis je soulevais son maigre corps et à la cuillère lui faisait boire de la soupe ou du pain trempé dans du lait.

Mon frère l’ignorait complétement disant que ce n’était pas labeur d’homme de nettoyer le cul de sa mère.

Il pestait contre l’odeur, gueulait qu’elle nous coutait cher, râlait que je m’occupe plus d’elle que de sa seigneurie.

Un jour énervée je lui balançais son linge sale et disant qu’il aille au lavoir lui même ou qu’il se trouve une pauvre malheureuse pour lui servir d’esclave. Je n’étais pas sa mère ni sa compagne mais juste sa sœur.

Le 13 décembre 1808 Maman se décida enfin à partir, son faible souffle s’éteignit et moi j’étais seule avec moi même.

Lorsque l’on fit le compte de ce que nous possédions mon frère, ma sœur et moi on s’aperçut vite que nous aurions du mal à payer un enterrement décent à notre mère.

Elle fut donc enterrée comme une indigente que c’en était une honte. Mes oncles ne levèrent pas le petit doigt.

Puis le moment arriva où l’on dut discuter de mon avenir, évidemment tous en discutèrent sans me demander mon avis, mon oncle Jean Baptiste Judes devint mon curateur après un conseil de famille.

J’allais devenir domestique de ferme chez une connaissance à lui près du village de Gault.

Pour moi qui n’était jamais partie de Villers aux bois, c’était le bout du monde. Je ne reverrais plus guère ma sœur et mon frère et, Maman alla rejoindre en sa décomposition les restes charnels de mon père dans la terre humide du jardin sacré de l’église du village.

Mon oncle me prévint qu’il allait tout faire pour me marier, de quoi se mêlait-il?

Mon départ fut pour moi un réel sujet de contentement car voyez vous la jeunesse attire les convoitises, votre pauvreté permet à certains quelques privautés que n’autoriserait pas une aisance matérielle.

C’était peu de temps après l’enfouissement de ma mère. J’étais en chemise sur le point de me coucher quand oncle Louis pénétra chez moi comme si il était chez lui. Il avait un peu bu, tendance qu’il avait prise au décès de sa femme deux ans plus tôt. Je vis à ses yeux et à son attitude qu’il ne me regardait pas comme sa nièce. Il me prit la main et la serrant trop fort et me la demanda. Si il y a bien une chose que je savais c’est que je ne voulais pas de mon oncle comme mari. Il se fit insistant, tenta de me toucher la poitrine, puis de me soulever la chemise. Heureusement j’étais forte et lui ivre, je réussis à m’extirper de son étreinte. Mon jupon se déchira et c’est presque nue que dans l’obscurité de la rue je me sauvais de l’ignominieuse entreprise.

Pour moi ce changement de région devint donc un exode salutaire, j’avais été malheureuse et je me disais que le bonheur peut-être m’atteindrait ici dans mon nouveau village.

 

 

2 réflexions au sujet de « UNE VIE PAYSANNE, Épisode 19, , la mort des anciens »

  1. Je vous remercie beaucoup pour vos récits.
    J’ai l’impression de vivre avec eux. Je suis issue d’une famille de paysans et de maquignons. Et je tente de transposer la vie de ces gens à celle de mes aïeux . J’ai pu remonter jusqu’en 1705 sur une branche et 1784 sur une autre. Votre histoire me permet de les situer dans un contexte historique , et j’ai l’impression de leur redonner vie . Encore merci . Sylvie Fontaine.

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