UNE VIE PAYSANNE, ÉPISODE 9, Mort de honte

 

Catherine Berthé

Commne de Villers aux bois département de la Marne

Année 1800

Nous habitions dans un petit village à l’orée de la fôret de Verjus, la vie y était rythmée par cette dernière, la majeure partie des métiers exercés par la population avait un rapport avec le bois.

La famille était composée de ma mère Marie Catherine Jacques, de mes deux sœurs ainées et de mon frère Pierre Etienne. Nous avions aussi avec nous un petit bouchon nommé Marie Scholastique et qui était le fruit défendu de ma sœur ainée.

Maman était maintenant bien vieillissante, le labeur et la vie dans les bois, les années de disette où parfois ils n’avaient que des glands à manger l’avaient métamorphosée en très peu d’année. Je me souvenais d’une mère jeune, vigoureuse et rieuse. La joie semblait l’avoir abandonnée depuis le départ de papa. Elle se traînait et les veillées joyeuses d’autrefois avaient disparu.

Mon père à ce que disait ma mère était mort de chagrin, il n’avait pas supporté que ma sœur succombe aux joies de l’amour avec un laboureur du village nommé Nicolas Drouot. Celui ci n’avait pas voulu réparer sa faute et disait à tout le monde que ma sœur était une trainée qui couchait avec tout le monde et que pas un seul bucheron de la forêt ne lui était passé dessus. Je me souviens bien de l’histoire cela m’a marquée. Mon père quand il avait appris cela avait mis une dérouillée à ma sœur et c’était mon oncle Louis agent municipal qui avait dû le calmer. La honte était tombée sur nous aussi sûrement que le gel en hiver. Papa restait le plus souvent dans les bois et ma sœur avait accouché comme un animal des bois dans notre hutte de branchages.

Puis quelque mois après mon père prit froid. En mai il faisait soleil et l’on se découvrait couvert de sueur. Le soir il avait de la fièvre et une vilaine toux s’installa. Je le revois encore dans la pénombre sur son chalit de branches, il ne souriait plus, il savait que la mort l’attendait, une question de jours sans doute. En fait ce fut plutôt une question d’heures.

Ses frères Louis et Antoine furent appelés et l’assistèrent dans ses dernier instants, ma mère pleurait. Je ne trouvais pas mes sœurs très affligées mais bon chacun manifeste sa peine différemment.

De sa chère forêt on le conduisit au cimetière du bourg qu’il n’aimait pas, lui aurait voulu qu’on le jette dans une ornière recouvert de l’humus et des feuilles mortes qu’il adorait sentir.

Ce départ nous laissait dans une situation catastrophique, l’économie familiale était chamboulée, de la pauvreté nous allions passer à la misère.

Maman pouvait encore se trouver un homme pour faire bouillir la marmite mais elle déclara à tous que jamais plus un mâle ne la coucherait. C’était dit pour sûr, mais il fallait manger.

Pierre Étienne n’avait que douze ans et il ne pouvait être considéré comme un homme, il fut donc envoyé chez l’oncle Antoine le vigneron. Il y serait nourri et logé à défaut d’y recevoir de l’amour. Il n’y resta guère et revint avec nous en forêt où ma foi il fit ce qu’il put pour survivre.

Ma deuxième sœur devint domestique au château ce fut l’oncle Jean Louis Judes jardinier qui la recommanda.

Il restait mon cas et celui de ma sœur aînée qui se traînait son bâtard et que personne ne voulait employer.

De fait on resta un moment en forêt, maman trouva à travailler comme une bête de somme. Elle devint la bonniche pour tout le monde. Nous étions un peu des mendiants.

Mon oncle Louis qui pourtant n’était que manouvrier avait des responsabilités à la commune. Il était vrai que bien peu d’hommes savaient écrire et lire et que lui miraculeusement avait appris. Se considérant comme une édile il éprouvait comme une honte à voir sa belle sœur vivre comme une sauvageonne.

Malgré cela il ne nous aidait guère, et un jour j’appris que ma sœur pour pouvoir donner du lait à son petit levait son jupon à quelques profiteurs. Voila où nous en étions lorsque j’atteignis l’âge qu’ont les filles pour devenir femme.

Avant les épreuves moi, ce que je préférais c’était la vie dans les bois, à la belle saison les bûcherons qui avaient des coupes loin de leur habitation, se regroupaient et construisaient des cabanes en branchages où nous nous installions tous. Le confort était fort sommaire et la promiscuité était parfois fort embarrassante. Nous dormions entassés sur des paillasses comme des animaux dans une étable. Mon frère était une véritable terreur et était entrain de devenir un homme avec tous ses défauts. Il était méchant et vicelard, toujours prêt à tenter d’apercevoir un bout de fesse ou de cuisse. Mes deux sœurs aînées défendaient avec âpreté leur pudeur mais moi qui était plus petite et plus faible j’avais beaucoup plus de mal. Un jour mon frère Étienne âgé de quinze ans m’avait bloquée dans la cabane et m’avait mise toute nue, je n’avais rien dit à personne car j’avais peur des représailles. Un autre jour que j’étais avec une amie à la source pour me débarbouiller, il nous avait surprises avec ses copains. Il avait voulu que l’on se déshabille devant eux, ce n’était plus drôle du tout, heureusement mes grandes sœurs étaient arrivées et avaient chassé la petite bande. Le soir le cuir avait volé dans les huttes ma mère avait mis une correction à son gars avec la vieille ceinture du père qui pendait comme une relique. Nous avions beau être les dépenaillés des bois il y avait quand même des choses à respecter. Je pense que mon frère n’a jamais pardonné à ma mère l’humiliation de cette correction alors qu’il était presque un homme.

 

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