Entrée arsenal de Rochefort
Mais les jours passant je m’aperçois ou plutôt nous nous apercevons que quelque chose ne va pas, beaucoup d’entre nous tombent malades. Ce n’est pas un phénomène rare mais pourtant l’inquiétude règne. Il y en a des dizaines de couchés à même le pont, le froid et la pluie font des ravages sur les corps fiévreux que les chirurgien du bord ne tentent même plus de secourir. Le navire se transforme peu à peu en un vaste hôpital. Tous les jours nous jetons des corps à la mer, l’aumônier ne chôme pas.
Il y a aussi des officiers touchés par la fièvre épidémique, mais mieux nourris et mieux logés ils résistent un peu mieux ou du moins plus longtemps.
Mon camarade de hamac, un vieux scorbutique qui a parcouru toutes les mers du monde s’en va aussi doucement. De sa bouche édentée et pourrissante, jaillissent encore quelques mots, j’essuie son front lui donne à boire mais c’est sans espoir, lui aussi part. Je récupère ses quelques hardes, et nous l’envoyons par dessus bord, les prières sont maintenant bâclées tant le pauvre représentant de Dieu est surchargé de moribonds.
L’un de mes compagnons entend une indiscrétion d’un officier, tous les bâtiments de l’escadre sont touchés. De mémoire de marin personne n’a jamais vu une épidémie d’une telle ampleur.
Moi je vais bien, ma bitte ne me lance plus quand je pisse, le cadeau de la belle espagnole semble être un vieux souvenir. Le remplacement des morts et des malades pour la manœuvre nous exténuent, nous tavaillons sans cesse, les voilures demandent des bras d’autant que le temps est très mauvais. A ce rythme nous allons crever de fatigue, on nous accorde un peu plus de nourriture et d’alcool, mais pensez vous la charge de travail est dure. Un marin imprudent est tombé des hautes vergues s’écrasant sur le pont, sûrement l’épuisement.
Nous remontons vers le nord, certains habitués reconnaissent les côtes bretonnes. Les creux sont énormes, les vagues pénètrent dans les entrailles du vaisseau, pas un homme n’est au sec.
La croisière est maudite pas un de nous va survivre, je me suis endurci mais l’autre soir en pensant à mon village des larmes me sont montées, jamais je ne le reverrai.
Les chefs au moyen de chaloupes se réunissent pour un conseil, c’est périlleux mais apparemment cela devient urgent, la catastrophe guette l’ensemble de l’escadre. Si on se fait surprendre par les Anglais dans cet état sanitaire, nous allons tous finir au fond de l’eau sur des pontons britanniques.
Ceux qui savent, devinent les côtes de Belle Ile. Vraiment ses falaise découpées, ses rochers magnifiques font que l’endroit porte bien son nom. L’escadre va tenter d’y mouiller mais le mauvais temps qui n’a pas cessé depuis des semaines se gâte encore, c’est la tempête.
Les instants sont critiques, entre les malades du typhus, les scorbutiques, les chtouilleux et ceux qui souffrent encore et toujours du mal de mer les matelots disponibles fondent comme neige au soleil.
Même les coups de fouets ne font pas relever les mourants. Les officiers aboient, gueulent, mais savent pertinemment que l’on va droit à notre perte.
Il faut descendre plus bas, on aperçoit les côtes vendéennes et nous savons maintenant que la destination est la rade d’Aix.
Voila l’Île de Ré, je vois au loin les rochers, nous passons un peu au large l’endroit est dangereux et le vent pousse à la côte.
Moi j’ai des frissons et malgré le froid vif en tirant sur un bout je suis trempé de sueur. Je vomis et bientôt je dois rejoindre les camarades alités. De loin l’île apparaît très plate, sans relief.
Pointe de Chanchardon les terres semblent coupées en deux par l’océan, nous pénétrons dans le pertuis d’Antioche à tribord une grande île que l’on nomme Oléron. Je vais mal, la gorge me brûle, j’ai soif, on relève mon voisin de couche il est mort. Je soulève la tête péniblement et je vois la petite Aix avec ses fortifications.
La mer est houleuse mais ce n’est rien, nous sommes protégés par les deux grandes bandes de terre Ré et Oléron.
L’escadre va désarmer, il est inutile de continuer car tout le monde va mourir, la chaîne épidémique doit être coupée.
Le Tigre remonte le chenal de l’embouchure de la Charente, là bas à une douzaine de kilomètres dans les terres le roi soleil l’arrière grand père de celui qui règne maintenant a fait surgir dans les marécages un grand port et son arsenal. De village Rochefort est devenue une ville où il y a un hôpital .
Notre navire mouille face au village de Port des Barques, les autres s’espacent dans la rade, nous sommes à l’abri des éléments et des insultes anglaises.
Les plus grands vaisseaux ne peuvent remonter le cours du fleuve lorsqu’ils sont à plein, il faut une myriade de chaloupes et des journées d’effort pour descendre les canons et tout ce qui pèse lourd.
Ensuite les bateaux sont halés par une cordelle d’une centaine de villageois réquisitionnés qu’ils le veuillent ou non. C’est un travail de titans mais c’est à ce prix que ce port éloigné des côtes reste opérationnel.
Je ne tiens plus sur mes jambes. Dès le 1er juin des hommes sont débarqués moi je me traîne et je dois attendre le 20 juin pour être hospitalisé. On me descend dans une barcasse et la remontée de la Charente commence, fontaine de Lupin, fort de Lupin, pointe de la Parpagnole. On semble repartir dans l’autre sens mais non c’est une sinuosité, le fort du Vergeroux, le village de Soubise et son église, le Martrou avec son passeur qui nous regarde passer stoïquement, enfin nous arrivons, de nombreux bateaux sont en chantier d’autres en réparation;les berges sont couvertes de roseaux mais l’activité sur les quais est intense. L’arrivée de l’escadre non prévue désorganise l’arsenal en entier.
Normalement l’activité du port devait se concentrer sur l’armement des escortes qui devaient protéger les convois vers les Antilles.
J’admire à peine la Corderie royale, l’un des plus longs bâtiments du monde dit-on. Voila j’arrive bientôt, un lit cela fait des mois que j’en rêve. Mais stupeur pour nous tous, l’hôpital est plein à craquer. Pas assez de guérisons pour libérer des places ou bien pas assez de morts.
C’est comme cela que je me retrouve à fond de cale dans la vieille forme décidément je n’ai guère de chance nous sommes le 20 juin le jour de mon arrivée je le sais car le commis qui m’a inscrit me l’a dit.
Mais malheureusement je sens que je décline doucement, mes forces m’abandonnent, je divague quelque peu, je me vois courir sur les rochers de Sanary, me baigner nu dans les calanques, je vois ma mère mais aussi curieusement mon père, c’est bizarre il est mort. Oui je le distingue bien, il se rapproche, je n’ai plus chaud, je n’ai plus soif je suis bien, papa me tend la main, j’arrive.
Honoré Touron marin du Tigre né à Sanary est mort le 26 juin 1745 six jours après son entrée sous les tentes de la vieille forme, l’épidémie qui a surgi sur l’escale à fait un carnage.
Nonobstant les morts qu’il y a eu en mer, les chiffres de ceux qui sont morts à l’hôpital royale de Rochefort sont effarant pour un laps de temps très cours qui s’échelonne de juin à septembre 1745
Tonnant 80 canon, 170 morts
Terrible, 74 canon 57 morts
Borée, 64 canon 55 morts
l’Éole, 64 canons, 95 morts
Léopard, 51 morts
L’Alcyon, 56 canons 6 morts
Tigre, 50 canons, 33 morts
Atalante, 21 morts
Bien évidemment l’épidémie ne s’arrêta pas aux marins de l’escadre et le personnel de santé paya aussi un lourd tribut.
Ces enfants de Provence qui avaient quitté leur soleil avec espoir de le revoir terminèrent leur vie en souffrance dans un hôpital saturé où une vieille forme transformée en mouroir à moins qu’ils aient succombé au gré des mouvements océaniques avant le désarmement en rade d’Aix.
La guerre de succession d’Autriche qui avait amené nos provençaux sur les terres atlantique s’est terminé en 1748 par le traité d’Aix la Chapelle.
Il y aura d’autres guerres, d’autres épidémies et d’autres morts, c’est ainsi.
Lorsque je serai près de l’Hermione, j’aurai une pensée pour Honoré de Sanary.
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Courte et triste vie, merci de cette lecture
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