Honoré devint bientôt un marin accomplit et son rêve était maintenant de posséder sa propre barque.
Il s’était aussi pris d’amour pour une jeune bergère âgée d’à peine seize ans, il en rêvait la nuit et multipliait les stratagèmes pour se trouver sur son chemin. La belle sauvageonne aux pieds nus faisait semblant de l’ignorer mais ce beau marin au teint mate ne la laissait pas indifférent.
Leur folle aventure aurait pu continuer la vie durant, l’Honoré l’aurait marié et à flanc de la colline qui surplombait la mer se serait construit une simple cabane qui devenue château aurait-été le siège de leur bonheur.
Hélas comme tous les marins de France, Honoré était recensé pour alimenter les équipages des navires de la royale. Il n’y coupa pas et se retrouva enrôlé contre son gré.
Bien que Sanary fut proche de la grande métropole il n’avait jamais été à Toulon, son départ fut triste, sa mère pleura des jours durant. Quand à la petite bergère confiante en l’avenir se promit d’attendre Honoré. Lui, supplia qu’elle n’en fit rien, car son absence durerait des années. Le futur matelot du roi aurait bien voulu prendre ce qui lui était dû, comme un gage de retour, un gage d’amour, un morceau de dot mais une instinctive prémonition lui fit renoncer à prendre la citadelle de la petite bergère.
Toulon, son arsenal, ses maisons aux murs sales, son port de guerre où à quai se dressaient les belles unités de la flotte. Il fut affecté au navire nommé le Tigre.
Lorsqu’il passa la passerelle il ne put qu’être subjuguer par la majestueuse beauté de cet énorme voilier. A bord une myriade de marins s’activait à armer le bateau pour un départ éminent.
Honoré fut assigné au transport des vivres.
Le tigre est un vaisseau de 50 canons, il est déjà vieux car lancé il y a plus de 20 ans.
Ce n’est pas le plus gros de l’escadre mais il est déjà considérable en comparaison des barcasses du port de Sanary . Honoré est intimidé et complètement perdu, noyé parmi les 500 membres de l’équipage. Tout le monde se marche dessus, les nouveaux sont bousculés par les anciens.
Justement l’un de ces derniers, enfant comme Honoré de Sanary décide de le prendre sous son aile et de partager son hamac.
Les ponts sont encombrés de matériels, voiles, cordages, canons, tonneaux d’eau et de viande salée, barriques de vin et d’eau de vie, réserve de haricots et de fèves.
On a fait monter à bord des volailles, des moutons et des cochons pour servirent de victuaille, cela caquettent, bêlent et grouinent. Les bêtes de peur chient partout répandant une odeur nauséabonde.
Entre les animaux sur pieds et nous les humains la promiscuité est totale nous sommes entassés comme des poules en cage.
Avec le travail qu’il y a à bord nous en oublions la beauté de la rade de Toulon, au loin la montagne du Faron, le soleil est magnifique et une légère brise nous permet de quitter la darse. Je suis inséré dans une équipe, mon nouveau métier reste à apprendre. Bientôt les voiles se gonflent, le spectacle est époustouflant, d’autres navires ont pris le départ, le Tonnant avec le chef d’escadre à bord , le Saint Esprit de 74 canons, l’Éole de 64 et le petit Zéphir de 28, l’ escadre est commandée par le chevalier de Piosin, c’est un vieux bonhomme qu’on nomme le bailli . Pour sûr nous ne sommes pas logés à la même enseigne et il ne nous donne pas d’ordres directement.
On ne sait pas trop ce qu’on va faire ni où on va mais les gradés nous apprennent qu’on est en guerre contre l’Autriche, l’Angleterre, le Royaume unis. Nous on a dans notre camps l’Espagne et la Prusse. Moi fils de Sanary, ces pays je ne les connais pas et je me demande bien pourquoi on se mêle de la succession d’Autriche, bon c’est sûr c’est vraiment bizarre qu’une femme monte sur un trône.
En tous cas cette guerre de la succession d’Autriche me mène loin de chez moi et loin de mes côtes de Sanary.
Les conditions de vie sont épouvantables, j’ai même le mal de mer, c’est bizarre pour quelqu’un qui a passé sa jeunesse à être chamboulé sur une coque de noix.
On se dirige maintenant vers l’Espagne et le port de Carthagène, on y fait escale et enfin on peut toucher la terre ferme. Je n’ai qu’une maigre solde mais je peux comme les autres aller faire mes premières armes dans les bouges du port.
Le vin lourd de Murcie me soûle irrémédiablement. Je fais également mes premiers pas dans un bordel, je me déniaise avec une vieille, grosse laide et puante. Les plus belles sont plus chères, mais je m’en fous il fallait que je le fasse. Maintenant que j’ai franchi toutes ces étapes initiatiques je suis un vrai marin de la royale.
Le 12 novembre 1744 on repart avec comme destination l’Atlantique, on franchit le détroit de Gibraltar, j’aperçois les rochers, cela bouge beaucoup sur le navire le temps est gros, le bruit est infernal, le bois se plaint, craque, gémit. Il y a de l’eau dans les cales, avec des pompes toute la journée on évacue de l’eau.
Le 20 novembre on est à Cadix, le tableau est le même qu’à Carthagène, les filles pullulent et cette fois j’ai la chance de pouvoir prendre une jeunette aux jolies traits et au corps encore parfait. Puis l’on repart mais le Tonnant à une avarie et l’on fait escale pour le réparer, cela m’arrange car la vilaine m’ a refilé une saloperie, je pisse du sang et du pus et j’ai l’impression qu’une lame de couteau me transperce.
Nous sommes nombreux à avoir la chtouille.
Le 3 janvier 1745 nous remontons vers les Acores, cela secoue, les premiers malades arrivent rapidement, les chirurgiens ne peuvent rien pour eux, et nous les basculons dans l’océan. Cela libère de la place mais c’est inquiétant. Nous devons protéger l’arrivée des navires Espagnol de l’amiral Torres, c’est un convoi qui vient des Amériques et que convoitent nos ennemis de toujours, les Anglais.
Le 8 février 1745 nous rentrons à Cadix et sommes remplacés par la division Jonquière qui vient de Toulon. Ensuite les deux divisions se renforcent et patrouillent jusqu’au 29 mars le long des côtes espagnoles. Puis toute la flottille appareille pour croiser le long des côtes espagnoles et françaises, du cap Saint Vincent au cap Finistère.